Avec cette belle production du Malade Imaginaire qui rassemble trois compagnies spécialistes de ce répertoire, l’année Molière est lancée à Nantes avec brio. Après L’Amour médecin, Monsieur de Pourceaugnac et Les Amants magnifiques, L’Eventail, le Concert Spirituel et les Malins Plaisirs conjuguent à nouveau leurs talents pour une nouvelle comédie-ballet de Molière montée – pour la première fois depuis trente cinq ans – dans l’intégralité de ses « textes, musiques, chants et danses, sans retranchements ni ajouts, considérant qu’il importe de s’appuyer sur une construction dont l’étude approfondie révèle qu’elle est toujours dramatiquement juste. »
Après une entrée en matière un peu confuse, liée peut-être à la thématique carnavalesque du Prologue, les dix neuf instrumentistes du Concert Spirituel trouvent leurs marques et accompagnent avec autant de pétillant que de précision les passages composés par Marc-Antoine Charpentier. Ceux-ci, malheureusement, ne sont pas si récurrents au cours des 3h30 de spectacle et la fosse semble parfois piquer du nez tandis qu’au plateau se déroulent les trois actes de la pièce de théâtre. Mais Hervé Niquet sait jouer de sa faconde naturelle au service du propos avec une direction enlevée et gouailleuse qui fait merveille.
Quel plaisir sans mélange lorsque la compagnie de l’Eventail ajoute la danse au délice de la musique ! Les chorégraphies créatives de Marie-Geneviève Massé teintent leur parfaite connaissance de l’époque de fantaisie et d’humour, choisissant d’être avant tout fidèles à l’esprit d’une fête royale au Grand Siècle plutôt qu’à sa lettre.
Plus encore, la danse des robots médecins ne manque pas l’insolence et poursuit la métaphore du pantin manipulé qui court dans toute la mise en scène et évoque avec tant de pertinence les aberrations du Malade Imaginaire, jouet de sa femme, des médecins puis du reste de sa famille.
© Hélène Aubert
Un grand fauteuil sur roulette où Argan est perpétuellement déplacé, transbahuté par les uns et les autres et où s’effondre son épouse lorsque son hypocrisie est démasquée, est l’autre élément qui souligne ces jeux de manipulations.
Peu d’accessoires, donc, mais toujours signifiants dans une scénographie astreinte à l’économie puisqu’il faut sans cesse laisser le plateau libre pour la danse. Claire Niquet fait merveille avec cette belle place urbaine au milieu de laquelle s’ouvre et se ferme en grisaille la maison-boîte de la famille. Comme la plupart des barbons chez Molière, Argan perd son humanité à force d’être obsessionnel. Son hypocondrie lui fait perdre les couleurs de la vie, il est donc logique que sa demeure manque de relief et de pigments.
En revanche, teintes jubilatoires et réjouissante fantaisie éclatent avec l’extraordinaire brio que l’on connaît à Erick Plaza-Cochet dans les costumes, les perruques et masques animaux portés par les artistes.
L’esprit de troupe de l’Illustre Théâtre souffle sur la soirée car Vincent Tavernier, metteur en scène et directeur artistique, individualise chacun pour rendre plus vivant et tourbillonnant encore ce carnaval où les trois arts – danse, musique et comédie – s’harmonisent avec une parfaite fluidité, ce qui était une gageure.
Parmi les comédiens, soulignons la performance particulièrement vive et piquante de Marie Loisel en Toinette, tandis que Pierre-Guy Cluzeau dose parfaitement le ridicule de son Argan qui reste toujours aussi crédible que drôle, tout comme l’hilarant Thomas Diafoirus de Benoît Dallongeville.
Le plateau vocal n’a que peu à chanter, les ensembles sont impeccables mais dans les parties séparées, Axelle Fanyo brille tout particulièrement avec une Flore diaprée d’une présence solaire et de couleurs sensuelles, encadrée par Lucie Edel et Flore Royer, aussi vives que charmantes et aux timbres bien assortis.
Chez les hommes, Blaise Rantoanina, révélation classique Adami 2016, pâtit d’une projection un peu métallique et d’aigus tendus, contrairement à Yannis François (également danseur !) tout en rondeur chaleureuse dont le focus, l’épatante diction nous avait déjà frappés dans la Dame Blanche à l’opéra de Rennes.
Une nouvelle fois, l’équipe artistique assume pleinement son credo : « proposer une interprétation fondée sur un total respect des sources – mais contemporaine. [Délaisser] gestique, éclairage à la chandelle ou français restitué [au profit] de la vitalité et l’inventivité qui sont les marques de fabrique originales [de la comédie-ballet], pour proposer au public d’aujourd’hui des spectacles qui les touchent immédiatement – comme le souhaitaient les créateurs – grâce à des modes d’interprétation contemporains… Spectacle total, d’une fantaisie sans limites, accessible à tous les âges, à tous les goûts, à tous les esprits, la comédie-ballet est avant tout le récit d’un combat et d’une victoire, celle de l’esprit de joie sur l’esprit de sérieux » comme le souligne la standing ovation qui clôture la soirée.