Après avoir vu sa mise en scène à Salzbourg en 1997 reniée par le compositeur lui-même, Peter Sellars a accepté la proposition de Sir Simon Rattle et du London Symphony Orchestra d’une version semi-scénique du Grand Macabre au Barbican Center de Londres. Deux représentations et une deuxième collaboration entre le maestro et le metteur en scène après un Pelléas et Mélisande particulièrement réussi l’an passé. Toujours peu enclin à explorer le théâtre de l’absurde et la drôlerie irrévérencieuse de l’œuvre, l’Américain choisit à nouveau l’angle politique pour cette mise en espace. Le cataclysme c’est l’homme lui-même et sa force auto-destructrice toute entière résumée dans le symbole radioactif et la bombe nucléaire. Une projection d’un planisphère égrainera toutes les explosions depuis 1945 jusqu’à nos jours (plus de 2000). Si le propos suscite de l’intérêt, il réduit le récit du livret à une action politique, et ce faisant, il affaiblit les personnages et leur ambivalence notamment Nekrotzar qui semble bien palot en ange de la mort. Regrettable, d’autant que le placement et le rôle du chœur (dans les balcons, dans les travées du parterre etc.) tout comme la direction d’acteur toujours aussi intense pouvait laisser de la place à la folie douce. Un bordel politique et intellectuel trop distant du bordel lubrique qui doit survenir scène après scène.
© John Phillips
Si la mayonnaise ne prend pas vraiment, ce n’est pas faute d’engagement de la part des chanteurs, magnétisés comme à chaque fois par Peter Sellars. Peter Hoare ouvre ce bal des fous dans une scène d’ébriété qui cueille la salle à froid avant de la dérider. Le timbre est chaud, la voix puissante et colorée pour épouser les sautes d’humeur du personnage. Suit l’Amando profond et suave de Ronita Miller qu’équilibre le timbre d’Elizabeth Watts (Amanda). Tout ce beau monde cesse de batifoler bien vite à l’arrivée de l’inquiétant Nekrotzar de Pavlo Hunka. Une projection torrentielle finit d’asseoir le personnage démoniaque. Le couple Astradamors et Mescalina trouve en Frode Olsen et Heidi Melton deux opposés parfait tant physiquement que vocalement. Elle, voix chaude et sensuelle a besoin de deux onomatopées pour incarner la nymphomane quand lui, roide et piquant est crédible d’emblée en mari masochiste et soumis. Audrey Luna réussit à glisser de la douceur de Venus aux pyrotechnies de Gepopo avec une aisance confondante. Placement scénique oblige (elle est dans un lit d’hôpital juste à côté de Simon Rattle), c’est bien plus cette intervention comme chef de la police secrète qui laisse coi tant l’aisance vocale est grande. Le contre-ténor Anthony Roth Costanzo épouse l’écriture presque baroque que Ligeti a voulu pour le Prince Gogo. Le portrait du potentat fragile est complet. Le London Symphony Chorus est irréprochable (dirigé depuis la scène par Simon Halsey) et complètement investi pour donner corps au peuple véhément ou implorant, à l’exception peut-être de quelques attaques particulièrement exposées.
Au milieu de tout cet embrouillamini, Simon Rattle organise et excelle à faire déborder cette musique jubilatoire. Sa précision d’horloger fait naviguer le LSO sans mal à travers toutes les difficultés de la partition : des tutti gargantuesques au pianissimo presque inaudible. Pas un pupitre ne manque au diapason du regard sérieux et goguenard du chef, comme s’il devenait lui-même un des acteurs de la farce. Ligeti qualifiait son travail d’anti-opéra. Le chef britannique rend à l’orchestre un rôle prépondérant. Il commente, il moque et il cingle si bien qu’il déclenche les réactions hilares du public, ce en quoi échoue en partie la mise en scène.