Le monde du spectacle vivant s’emploie avec énergie – au même titre que l’école – à sensibiliser la jeune génération à l’écologie. Le phénomène est toutefois plus répandu au théâtre que dans l’univers lyrique et c’est tout à l’honneur de l’Opéra du Rhin de reprendre Le garçon et le poisson magique, un spectacle néerlandais primé à sa création en 2012. Un conte des frères Grimm pour mezzo et percussions, voilà qui est fort intrigant.
La librettiste, Flora Verbrugge, formée chez Mnouchkine et Strehler, est spécialiste du répertoire pour la jeunesse. Elle reprend ici le pêcheur et sa femme, fable qui résonne étonnamment avec les questionnements et les errements de notre époque. Une famille sans domicile vivote en bord de mer. Le fils, Jacob – personnage ajouté à l’histoire originale pour une identification plus directe avec le public – pêche un jour, non un ange, mais un poisson magique qui exauce ses souhaits en échange de la vie sauve. Sous l’influence des parents, les désirs, d’abord fort humbles (une paire de chaussures pour ne pas aller pieds nus, une couverture, un lit…) deviennent de plus en plus excessifs: La petite maison se fait château avant qu’une armée de domestiques ne soit convoquée pour s’en occuper. Puis la famille exige des vacances au bout du monde pour se reposer d’être des « personnes privilégiées » comme le dit la mère. Finalement, écoeurée par ce monde plein d’importuns, la famille exige « un monde pour elle toute seule ». A chaque souhait, le poisson s’affaiblit, s’amaigrit tandis que la mer devient plus tempêtueuse jusqu’au tsunami final.
Respectant la trame du conte, le livret fait de cette famille une métonymie de l’humanité qui demande toujours plus à la nature. La scénographie de Sandra Pocceschi et Giacomo Strada – signant également la mise en scène – illustre clairement le propos : A Jardin, un ponton devient lit, table de fête ou tapis à bagages d’aéroport ; au sol et en fond de scène, un écran permet d’évoquer le rivage et la mer. S’y projettent les belles animations aquarellées d’Alessandro Randi ; seul le poisson jure un peu avec l’esthétique choisie. L’écran devient transparent à l’occasion, permettant de placer les artistes dans l’image ; la scène en est ainsi poétiquement animée.
© Klara Beck
Sur scène, deux artistes se donnent la réplique. Claire Péron , membre de l’Opéra Studio de l’OnR, incarne le jeune Jacob, sa mère ainsi que la voix du poisson. Son mezzo clair jouit d’une émission très naturelle. Les aigus pourraient parfois être plus souples, la projection plus ample, mais cela est compensé par focus et diction, excellents l’un comme l’autre. Les passages à capella sont particulièrement opportuns et réussis, en revanche plus de couleurs dans l’interprétation permettrait de mieux identifier la transition d’un personnage à l’autre.
La jeune chanteuse est accompagnée d’un percussionniste remarquable – Pierre-Loïc Le Bliguet – qui endosse à l’occasion le rôle du père. Il parvient à camper des atmosphères variées, notamment par un très beau travail de nuances. C’est lui qui prend la parole au début du spectacle pour inviter les enfants à participer en imitant à cinq reprises le bruit de la mer au cours de la séance. Entre marimba, chime, cymbale, caisse claire et piano à bouche, son instrumentarium varié sert la belle partition de Leonard Evers. Evocatrice, moderne tout en restant mélodique, cette dernière évoque l’univers d’un Menotti et sert parfaitement le propos sans rebuter la jeune génération par trop de dissonances. Les instruments occupent plus d’un tiers de la scène, à Cour. Ils participent même du décor lorsqu’ils se transforment en limousine, une cymbale devenant alors un volant tout à fait crédible.
Un troisième personnage occupe la scène : un robot à taille humaine, tout droit sorti d’un film des années cinquante. Il est la voix off qui tisse le fil de l’histoire, un effet assez superflu à vrai dire qui plombe visuellement l’ensemble en ajoutant un décalage esthétique peu convaincant. Le travail de projection montre la mer chaque fois plus grosse, le poisson plus affaibli ; engloutit le paysage sous les valises ou les sacs poubelles. Il aurait suffi à faire passer le message d’une humanité égotiste, avide de consommation, boulimique de biens et de distractions, au détriment du bien commun.
Certes le spectacle souffre de quelques longueurs : les rencontres réitérées de Jacob et du poisson pour de nouvelles doléances, chaque fois plus délirantes, auraient gagnées à être moins nombreuses et partant, moins répétitives. Après quarante cinq minutes de spectacle, la salle s’agite et perd en concentration. Mais proposer ainsi une critique du capitalisme industriel et de son obsession de la croissance pour en brosser les conséquences néfastes (catastrophe écologique, dénaturation de l’être et détérioration du lien social comme l’annonce la note d’intention du programme) ; tout cela pour un auditoire de jeunes enfants, voilà une gageure remarquablement relevée.