Autant l’avouer, au vibrant plaidoyer de Victor Hugo en faveur de l’abolition de la peine de mort, nous préférons la confidence d’Albert Camus dans ses Réflexions sur la guillotine. Le premier vise à faire du lecteur un abolitionniste en lui peignant les souffrances du condamné qui attend son exécution comme des tortures dont les partisans de la peine de mort sont les cruels responsables. De surcroît, en le tuant, ils infligent une peine irréversible à ses proches, pourtant innocents de ses crimes. Cette habileté rhétorique nous touche moins que le témoignage de l’auteur de L’étranger quand il rapporte la réaction de son père au retour d’une exécution publique à laquelle il avait voulu assister tant les crimes du condamné l’avaient révolté. Le spectacle de la mise à mort, au lieu de lui apporter l’apaisement espéré, l’avait rendu malade de dégoût parce qu’il avait compris qu’il avait lui aussi, par son adhésion, participé à un meurtre. Camus ne vise pas à convaincre en culpabilisant le lecteur mais à prouver, par cet exemple, que la peine capitale n’est jamais la bonne.
Mais Camus s’adresse à notre raison quand Hugo s’adresse à notre sensibilité. A son frère David, qui lui a expédié Le dernier jour d’un condamné comme une boutade affectueuse, Roberto Alagna, qui découvre le potentiel lyrique du texte, suggère d’écrire un opéra, incitation à laquelle le premier lui répond en lui demandant d’écrire le livret. De défi en défi, avec le concours de Frederico, le troisième frère, la gageure sera menée à bien et l’œuvre créée en concert au Théâtre des Champs Elysées en 2007, avant d’être portée à la scène en 2009 en Hongrie dans une production de l’opéra d’Avignon qui est celle présentée à Marseille. Nous ne saurions rien ajouter au compte rendu de Fabrice Malkani, élégant et exhaustif dans la description de la partition et du spectacle conçu par Nadine Duffaut. Toutefois, voir les familles des condamnés en projection vidéo nous aurait semblé préférable à leur défilé muet sur la scène. La présence des enfants des condamnés, victimes collatérales de la vindicte sociale, nous rend sensible à l’absence des enfants de ceux que les justiciables ont probablement tués. Le recours à l’émotion est ici à double tranchant.
Des bords du Rhône au Vieux Port, l’orchestre, les chœurs et le chef ont changé mais on peut parler aussi de réussite. Jean-Yves Ossonce veille à donner à la composition tout son potentiel expressif et mélodique et à la rendre aussi noble et aussi efficace que possible, grâce aux couleurs et aux accents que l’orchestre souligne ou nuance sans jamais donner le sentiment d’épaissir le trait. Ecrite sur mesure pour Roberto Alagna, l’œuvre offre à son sens du phrasé et à la clarté de sa diction un support où il est tout à son aise. Comme en Avignon, Adina Aaron est la condamnée contemporaine, avec un engagement qui évite l’outrance et un français d’une qualité très satisfaisante. Tous deux affrontent avec bonheur les passages les plus lyriques que leur réserve le deuxième acte. Il faudrait citer tous les autres participants, si l’énumération ne risquait de devenir fastidieuse, dont la majorité était déjà de l’aventure dans la cité des Papes, pour la tenue irréprochable des nombreux seconds rôles. Le succès est net aux saluts, mais on ne peut passer sous silence le fait que les mérites conjoints de cette production et la qualité de l’exécution n’ont pas suffi à remplir les vastes bords de l’opéra de Marseille. De quoi s’interroger sur l’avenir de l’œuvre ?