Le Comte Ory constitue une espèce de prototype de tous les opéras comiques et opérettes du XIXe siècle qui vont tourner en dérision, pour la plus grande joie des spectateurs, moines et nonnes. Tout cela n’ayant plus grand-chose à voir avec nos préoccupations actuelles, on accepte d’autant mieux la transposition effectuée par le metteur en scène Pierre-Emmanuel Rousseau, qui situe l’action dans les années 50 mais conserve les traditionnelles religieuses du second acte. Bien accueilli à Rennes (voir le compte rendu de Tania Bracq), le spectacle fait maintenant escale à Rouen avec les mêmes solistes mais un chef, un orchestre et des chœurs différents.
La représentation est plutôt drôle et bon enfant, défendue par une distribution hors pair. D’où vient dès lors que la mayonnaise ne prend vraiment que dans la seconde partie ? Les digestions laborieuses des dimanches après-midi seraient-elles seules à justifier une salle amorphe ? Ou bien cette apathie est-elle liée au spectacle lui-même ? On peut en effet se demander si le manque d’intérêt du public ne vient pas de la construction dramaturgique, et si au lieu d’hésiter entre les Branquignols et les Deschiens, il n’aurait peut-être pas mieux valu créer un autre univers, en choisissant plus nettement entre hyperréalisme et académisme ? Car le premier acte, avec sa scène quasiment vide, ses déambulations forcées de figurants/choristes peu définis induisant quelques temps morts infimes mais répétés, lasse rapidement, là où quelques éléments de mobilier, des éclairages plus soignés et une plus grande rigueur de mise en scène auraient pu forcer l’adhésion.
© Photo Jean Pouget
C’est dommage, d’autant que le plateau est quasi irréprochable. On sait le large éventail des compétences de Mathias Vidal, dont les qualités comiques ne sont pas les moindres. Il mène ici la danse avec un entrain irrésistible, sorte de Louis de Funès conduit par ses pulsions vers la gent féminine. Mais là où l’on se souvient avec amusement d’un Michel Sénéchal plutôt patelin et libidineux, il crée un comte dépravé mais sympathique, beaucoup plus complexe et varié. Sans parler de sa voix qui est en parfaite adéquation avec le personnage, forte, ferme et musicale sur tous les registres, l’acteur maîtrise les attitudes et la gestuelle pour nous offrir un feu d’artifice vocal et scénique : du grand art.
Perrine Madœuf trouve en Adèle un rôle à la mesure de ses remarquables moyens. Très à l’aise sur toute la tessiture, elle vocalise à la perfection, et allie une jolie musicalité avec un sens aigu de la comédie. La voix – comme l’actrice – est belle, jamais criée, et est mise au service d’une interprétation tout en finesse et en charme, même lors de la scabreuse – mais drôle – prise en sandwich finale. Seul tout petit bémol, une articulation plus soignée permettrait de ne rien perdre d’un texte que l’on a du mal à percevoir. A ses côtés, Rachel Kelly en Isolier est également délicieux-se, et fait apprécier un art accompli de la vocalise, tandis que Philippe Estèphe (Raimbaud) est particulièrement à l’aise tant vocalement que scéniquement. Le reste de la distribution participe avec entrain des frasques variées de ce diable de comte.
Une mention particulière est à attribuer au chœur qui joue fort bien et chante encore mieux, avec une très grande clarté. La direction de Luciano Acocella, pourtant rossinien convaincu, surprend un peu par de relatives et épisodiques lourdeurs, qui sont peut-être à mettre au compte d’un orchestre qui brille pourtant de belles sonorités. En tous cas un beau travail d’ensemble, accueilli très chaleureusement au final par un public enfin conquis.