Dur d’être metteur en scène d’opéra à Paris. Qu’il soit trop audacieux, comme Claus Guth à La Bastille, et il sera exécuté sans sommation, honni, vomi. Qu’il soit trop sage, tel Denis Podalydes aux prises avec les polissonneries du Comte Ory Salle Favart, et le public ne lui en sera pas plus reconnaissant. Au tomber de rideau de cette première de l’opéra de Rossini, des cris de mécontentement tentent d’interrompre la clameur élogieuse qui avait dans un premier temps accueilli l’équipe scénique. Que peut-on reprocher à cette mise en scène pourtant littérale ? Une intrigue transposée de l’époque des croisades à celle de la création de l’œuvre ? Depuis que Rodolfo tourne en orbite autour de Mimi, les Parisiens sont définitivement vaccinés. Des décors – un mur peint en cinquante nuances de gris – et des costumes sans grande inventivité ? A défaut d’être beaux, au moins ne sont-ils pas laids. Le traitement timide d’un ouvrage osé en son temps quand de nos jours on a coutume de tout montrer ? C’est Noël, la trêve des confiseurs ; les spectacles se doivent d’être tout public. Puis l’effort pour caractériser chacun des personnages, du plus humble au premier des rôles, le travail sur les mouvements afin qu’aucun tableau ne paraisse figé auraient mérité un minimum de respect. Aujourd’hui, alors que l’on condamne sévèrement tout écart de geste et de langage, comment peut-on encore tolérer les huées ?
Sans élever la voix, le rossinien averti déplorera toutefois que le trio du deuxième acte, coquin et sublime, soit si maladroitement représenté. Il s’agit du climax de l’œuvre, un des quelques numéros qui ne doit rien au Viaggio a Reims dont Le Comte Ory est le génial recyclage. Dommage de l’avoir raté.
© Vincent Pontet
Tout comme ce même rossinolâtre impénitent regrettera que Julie Fuchs se montre trop éloignée du style qui, à ses oreilles, fait l’intérêt d’une école de chant entre toutes difficile. Peu de syntaxe mais un charme, un fruit sans la moindre acidité – s’il fallait lui assigner une saveur, ce serait la pêche –, de l’esprit, une présence à défaut d’une puissance. Adèle est cocotte plus que comtesse. Il ne faut pas être trop puriste. L’équilibre prévaut au sein de la distribution et c’est le principal. Gaëlle Arquez ne fait qu’une bouchée d’Isolier, atteignant les Si aigus dont sa partition est parsemée comme s’il s’agissait d’une note à la portée de tous les gosiers. Il faut du temps à Jean-Sébastien Bou (Raimbaud) pour trouver ses marques mais l’air « Dans ce lieu solitaire » est suffisamment animé pour éviter l’impression de monotonie (difficulté à laquelle échappe son alter ego Don Profondo en contrefaisant un accent différent à chaque couplet dans le fameux « medaglie incomparabile » du Viaggio a Reims ). Avec un sens des nuances qui donne son juste poids à chaque mot, Patrick Bolleire (le Gouverneur) trouve davantage à s’imposer dans la cavatine de « Veiller sans cesse » que dans la cabalette, souvent coupée en raison de sa difficulté. Au moins a-t-il le mérite d’en affronter sans faillir les soubresauts. Jodie Devos pétille dans le petit rôle d’Alice et l’on se demande ce qu’aurait donné Eve-Maud Hubeaux en Dame Ragonde si elle n’avait été annoncée souffrante tant, en l’état, elle crève la scène, usant à propos d’une voix dont l’ampleur n’interdit pas l’agilité.
A la tête d’un Orchestre des Champs-Elysees avec lequel il vient de renouveler son partenariat lyrique et symphonique, Louis Langrée refuse toute esbroufe. Sa direction n’est pas de celles qui donnent le mal de mer avec des accélérations inappropriées sous prétexte de crescendo. La rigueur rythmique avec laquelle le chef conduit l’ensemble d’instruments historiques a pour résultat un chœur (Les éléments) et des ensembles sans bavure.
Puisque l’adage nous conseille de finir par le meilleur alors nos derniers mots seront pour Philippe Talbot. Confronté à une partition impitoyable, celui qui reçut le prix du meilleur espoir du Concours Pavarotti en 2008 donne à comprendre tout au long de la représentation la filiation entre le haute-contre baroque et le premier ténor romantique dans le répertoire français. Son interprétation ne doit pas pour autant se raconter en hauteur d’émission, en mixage des registres, en articulation et autres considérations techniques mais par la manière dont le chanteur use d’une large palette d’effets pour offrir du Comte Ory cet impossible portrait où ridicule et charme, héroïsme et douceur, trivialité et élégance coexistent comme rarement dans un rôle conçu à la mesure du légendaire Adolphe Nourrit.