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Lohengrin — Luxembourg

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Spectacle
14 novembre 2009
Le chaînon manquant

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3

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Détails

Lohengrin (Wagner, Trinks – Luxembourg)

Richard WAGNER (1813-1883)

 

LOHENGRIN

Opéra romantique en trois actes

Livret du compositeur

Création à Weimar le 28 août 1850 sous la direction de Franz Liszt

 

Production du Saarländisches Staatstheater Saarbrücken

 

 

 

 

Mise en scène, Michael Sturm

Décor et costumes, Stefan Rieckhoff

Collaboration scénique et chorégraphique, Bert Bunk

Dramaturgie, Berthold Schneider

Le Roi Heinrich, Christof Fischesser

Lohengrin, Peter Seiffert

Elsa de Brabant, Petra Maria Schnitzer

Friedrich von Telramund, Olafur Sigurdarson

Ortrud, Michaela Schuster

Le Héraut, Stefan Röttig

Saarländisches Staatsorchester

Chœurs du Saarländisches Staatstheater et Kammerensemble Püttlingen, direction Pablo Assant

Direction musicale, Constantin Trinks

 

Luxembourg, Grand Théâtre, le 14 novembre 2009

 

Le chaînon manquant

 

Ce soir-là, dans la salle à l’excellente acoustique du Théâtre de Luxembourg, nous avons eu le bonheur d’assister à la représentation de Lohengrin tel que Richard Wagner l’a conçu, écrit et composé, sans falsification, sans détournement de sens, sans le besoin compulsif, de la part du metteur en scène, de présenter l’œuvre dans le miroir déformant de ses propres fantasmes. Dans cette production, Elsa ne rêve pas, elle n’est ni perverse, ni psychotique comme nous l’avons vue trop souvent interpréter. Le metteur en scène Michael Sturm a cherché à réintégrer dans l’action un chaînon manquant : les cinquante six mesures de la deuxième strophe du récit du Graal, définitivement supprimées sur l’ordre de Wagner à la veille de la création1, strophe qui narre la matémorphose en cygne de Gottfried, le frère d’Elsa de Brabant, et le choix par Parzival de Lohengrin comme défenseur de la jeune fille.

 

Stefan Rieckhoff a conçu un décor unique qui ravale l’univers somptueux de la cour de Brabant au rang d’un salon bourgeois. Cet univers clos (la pièce n’a pas de fenêtres) convient au premier acte, mais on aurait aimé que les superbes fanfares annonçant l’arrivée du sauveur, qui semblent ouvrir l’espace à l’infini, abattent, comme à Jéricho, ces murs prosaïques, quitte à les faire réapparaître à la fin. Fort heureusement, les éléments symboliques, à savoir l’aile de cygne qui se démultiplie au fil de l’action, restituent en partie l’aspect mythique de l’œuvre. Le tableau final est très beau : Elsa, à l’écart de la foule, demeure figée, appuyée à une aile de cygne, telle un sphinx, jusqu’au moment où, libérée de son sortilège par la prière muette de Lohengrin, elle retrouve ses forces pour confier à Gottfried l’héritage légué par Lohengrin.

 

Dans la fosse, rarement la partition wagnérienne n’a exprimé tant de tendresse élégiaque, tant de recueillement, alternant avec la violence maléfique qui, peu à peu, enfle jusqu’à se déchaîner. Et cela, nous le devons à la baguette magique du tout jeune chef Constantin Trinks, récemment nommé Generamusikdirektor à Darmstadt, qui rend à Wagner ce qui est à Wagner. Aucun décalage, de la transparence, de la fluidité, du phrasé, des tempi très adaptés aux différentes situations, des contrastes rythmiques qui créent une tension grandissante. Les voix ne sont jamais couvertes. Les beaux chœurs sont parfaitement en place et convaincants scéniquement. 0n sent bien que le directeur musical et l’équipe de réalisation ont travaillé de conserve.

    

L’excellente distribution ne démériterait pas des plus grandes scènes, d’autant qu’elle est galvanisée par la présence de l’un des rares authentiques Heldentenor de la planète, Peter Seiffert, et de la soprano Petra Maria Schnitzer2, tous deux distribués avec succès à Bayreuth (de 2001 à 2005) dans les mêmes rôles. Bien qu’arrivés la veille de la générale, ils ont intégré en quelques heures de répétition le personnage qu’on attendait d’eux. Le Lohengrin de Peter Seiffert, excellent acteur, est bien l’envoyé du Graal. Le timbre radieux de ce chanteur hors pair ne se voile jamais, il continue de briller jusque dans les pianissimi en dépit des années qui passent. Tendre, élégiaque, il conserve aussi sa vaillance jusqu’à la fin de la représentation. il évite tout portamento, son vibrato reste sain, son attaque précise, son articulation exemplaire.

Très belle scéniquement, l’Elsa innocente et aimante de Petra Maria Schnitzer des deux premiers actes nous émeut par sa sincérité, créant ainsi un fort contraste avec son personnage sous influence du troisième acte. Son timbre reste angélique jusqu’au moment où, possédée par Ortrud, elle trahit sa parole donnée. Il s’assombrit alors et l’expression se fait dramatique et beaucoup plus contrastée.

Christof Fischesser incarne avec bonheur un roi respecté de ses sujets, tout à tour impérieux et compatissant. Il se joue des difficultés du rôle. Grave, medium, aigu sont parfaitement unifiés en un timbre d’airain qui porte. Il possède un superbe phrasé et une grande souplesse vocale.

L’Islandais Olafur Sigurdarson a les talents d’un futur Heldenbaryton. Il incarne un Telramund tout d’une pièce, incapable de comprendre qu’Ortrud le manipule, accumulant erreur sur erreur et clamant son bon droit d’un beau timbre charnu, cuivré, avec une excellente projection, si bien qu’on s’apitoierait presque sur son sort.

Véritable Circé, l’Ortrud de Michaela Schuster, aussi implacable que belle, est une digne émule du futur Klingsor. Sa technique impeccable, sa voix chaude, mordorée, d’une grande souplesse, alternativement impérative, cassante, suppliante ou haineuse n’ont d’égales que son impressionnante prestation scénique. C’est bien l’Ortrud voulue par Wagner, qui détruit tout ce qu’elle touche.

Le Héraut, dans cette production, est une sorte d’alter ego du roi, il ne le quitte presque jamais. Il est son porte-parole, son conseiller intime, son maître de cérémonie, il dirige les prières de l’assemblée et possède même un don de divination. Stefan Röttig, à la voix de velours, incarne à merveille ce personnage, même s’il lui manque un peu de puissance.

  

Un spectacle marquant, qui donne aussi envie d’aller voir de plus près ce qui se passe au théâtre de Saarbrücken.

 

Elisabeth Bouillon

1 La coupure supprime des éléments nécessaires à la bonne compréhension de l’histoire. Wagner craignait que la musique refroidisse l’enthousiasme du public : « Sie werde einen erkältenden Eindruck hervorbringen ». Dans cette même lettre à Franz Liszt, Wagner insistait pour qu’il ne fasse aucune autre coupure. Il est probable que les difficultés rencontrées par Goetz, le Lohengrin de la création, soient à l’origine de cette décision. Furtwängler (Fonit Cetra, 1936), Erich Leinsdorf (RCA, 1966), Daniel Barenboïm (Teldec, 1998 avec, déjà, Peter Seiffert en Lohengrin) et Semyon Bychkov en 2008 (Profil, 2008) ont restitué cette strophe dans leur enregistrement, l’estimant indispensable à l’équilibre musical de la scène et à la compréhension de l’action.

Cette strophe figure intégralement dans la traduction du livret de L’Avant-Scène Opéra (Lohengrin, n°143-144), avec, malheureusement, un contre-sens : « Als wir den Gral zu fragen nun beschickten, wohin ein Streiter zu entsenden sei » signifie « Quand nous allâmes demander au Graal où envoyer un défenseur »  et non « Alors que nous étions envoyés en quête du Graal, là où l’on attendait l’ambassade d’un champion ».

 2 A Saarbrücken les rôles de Lohengrin et d’Elsa étaient interprétés par Scott MacAllister et Janice Dixon.

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