Madama Butterfly est, de la façon la plus stricte, une tragédie en musique. Le destin de son personnage principal s’inscrit entre deux morts violentes, celles de son père et la sienne propre. Comme les personnages tragiques, l’héroïne ne connait pas d’avance la fin de l’histoire, mais Puccini, qui la connaît, nous l’annonce dès le premier acte, au milieu de la fête, par des avertissements sinistres qui réapparaîtront jusqu’au dénouement. Les auteurs de cette production l’ont-ils compris ? Il arrive qu’en revoyant un spectacle on lui découvre des qualités passées d’abord inaperçues. Rien de tel pour celui-ci, donné à Marseille en octobre 2010. Même remaniée la mise en scène affadit le drame par le souci de séduire le public, fût-ce par des moyens étrangers à l’esprit de l’œuvre. Ainsi du traitement du personnage de Goro, tiré vers le comique, de la présence de plusieurs enfants – parce qu’un c’est attendrissant alors plusieurs vous pensez ! – et de la pantomime qui meuble l’espace scénique pendant l’interlude reliant l’acte deux à l’acte trois, où des images suggestives mais sans lien avec le discours musical accumulent vapeurs, pluies de pétales, et déluge de neige. Le dispositif scénique, inchangé, relègue à jardin un pavillon qui tient de la cahute, installe en fond de scène le même sampan incongru – sur une colline ! – et le même piquet attend le dénouement pour que Cio Cio San vienne s’y empaler.
Heureusement, tout n’est pas de cette eau. Apparitions plus que personnages les interprètes du bonze et de Yamadori impressionnent, le premier par sa voix profonde, le deuxième parce qu’il campe le prince amoureux en quelques instants. Joseph Shovelton joue le Goro à l’impudence peu crédible qui lui est demandé avec une grande aisance. Franck Ferrari est un Sharpless de grande présence, vocale et scénique. Sans doute Pinkerton manque-t-il de finesse, mais Arnold Rutkowski chante fort même quand l’orchestration ne l’exige pas ; cherche-t-il à se chauffer ? Il n’évitera pas un accident, vite rattrapé, mais fâcheux. Sa Cio Cio San est une interprète chevronnée du rôle, qu’elle a chanté sur de grandes scènes. Pourtant, le premier acte est difficile pour Adina Nitescu, à la justesse approximative et au suraigu risqué. Elle se reprend heureusement pour les deux actes restants, l’actrice réussissant à rendre crédible la jeunesse et les émotions du personnage et la chanteuse à servir le rôle sans anicroche malgré un souffle très court. Du coup sa suivante Suzuki prend un relief inhabituel : non seulement Giovanna Lanza est un vrai mezzo-soprano à la voix profonde et homogène sur toute son étendue mais son chant ciselé, l’excellente projection et la composition scénique impeccable en fond un personnage de premier plan.
Une fois encore, à Toulon le bonheur vient de la fosse. Cette Butterfly est une réussite musicale. Cela tient à l’engagement de l’orchestre, perceptible dès les premières mesures, et dont les différents pupitres font assaut d’émulation pour tisser la précieuse partition, des raffinements arachnéens ou des tensions des cordes aux pépiements des vents et aux accents funèbres des bois et des cuivres, dans un dosage sonore constamment contrôlé. Cela tient à la discipline avec laquelle les musiciens se soumettent à la conception de leur directeur musical. Giuliano Carella interprète Madama Butterfly avec le souci de parvenir à une exécution qui conserve l’élégance vitale pour une héroïne formée au code du contrôle strict des sentiments. Ni tonitruances, ni grandiloquences, aucun débraillé sonore. Pour être contenue la violence des émotions n’en est pas moins dévastatrice : la retenue qui réprime les effusions en condense l’intensité. Cette lecture d’une parfaite cohérence, en symbiose amoureuse avec les intentions de Puccini, laisse saisi d’admiration. On n’en ressent que plus vivement le manque de rigueur de la conception scénique. Dommage !
Version recommandée :
Puccini: Madama Butterfly | Giacomo Puccini par Mirella Freni