Placée sous le signe de la nostalgie, cette reprise de Ciboulette donnée en février dernier à l’Opéra-Comique fait la part belle au charme désuet de l’héroïne éponyme, jeune marchande des Halles à qui une marchande de poissons prédit un avenir radieux à condition de trouver sous un chou l’homme qui fera son bonheur, de l’enlever ensuite à une femme qui deviendra toute blanche, et de recevoir un faire-part sur un tambour de basque. Ce qui nous permet aussi d’assister à la métamorphose d’une paysanne en cantatrice : des cris des Halles aux airs d’opéra.
Voilà qui a inspiré une mise en scène inventive et burlesque de Michel Fau, lequel paie de sa personne en interprétant une irrésistible Comtesse de Castiglione doublée d’une authentique Castafiore, qui fait rire et sourire. Elle suscite aussi l’émotion en suggérant en permanence les abîmes que recouvrent l’apparente absurdité et la légèreté du propos. L’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire, sous la baguette de Laurent Touche met en valeur la virtuosité musicale et le lyrisme délicat de cet élève de Massenet que fut Reynaldo Hahn, rendant en 1923 un hommage appuyé à Lecocq et Offenbach. Le tempo modéré, la mise en valeur des silences et de nuances parfois presque élégiaques participent toutefois d’une lecture mélancolique dont le cœur est le récit des derniers instants de Mimi (tirés des Scènes de la vie de Bohème d’Henry Murger) par un Rodolphe devenu le contrôleur Duparquet, interprété par l’excellent Florian Sempey, aussi impressionnant dans les passages parlés que chantés.
La beauté des costumes de David Belugou, hauts en couleurs et jouant avec intelligence de l’imagerie traditionnelle et des contrastes, la qualité des décors de Bernard Fau et Citronelle Dufay, entre cartes postales anciennes et santons de crèche provençale (mais aussi divers hommages, comme celui qui est rendu à L’Angelus de Millet dans la première apparition de Mère et Père Grenu), magnifiés par les lumières de Joël Fabing, font de ce spectacle de fin d’année un moment festif et plaisant, à l’image de la plante vivace, aromatique et ornementale qui donne son nom à l’héroïne.
C’est d’ailleurs une Ciboulette aussi truculente que séduisante qu’incarne avec grâce et spontanéité la jeune soprano Bénédicte Tauran, qui bondit, s’élance et virevolte, dans une maîtrise consommée de la scène, tout en chantant d’une voix claire et précise, toujours distincte et qui fait mouche tant dans la naïveté de la petite marchande d’Aubervilliers que dans l’art de la diva que devient Conchita Ciboulero.
Julien Behr est un Antonin parfaitement crédible en jeune millionnaire benêt et infantile, puis en amoureux désespéré – son duo avec Florian Sempey en Duparquet lui dictant sa lettre d’adieu à Ciboulette est très réussi – donnant au personnage une authentique dimension lyrique par la souplesse et l’expressivité de sa voix. Le baryton Marc Scoffoni incarne avec justesse le vaniteux capitaine de la scène d’ouverture, accompagné avec talent par Olivia Doray qui campe une Zénobie minaudant gracieusement, et odieuse à souhait avec Antonin. Les seconds rôles sont d’excellente tenue, Guillemette Laurens faisant de la mère Grenu une marionnette lyonnaise tout droit sortie du théâtre de Guignol, flanquée d’un sonore et bien chantant Jean-Marie Frémeau en Père Grenu. Gouailleuse marchande de poisson et voyante à la fois, Andréa Ferréol devient avec une facilité confondante la « mère récente, mais parfaite » de Conchita Ciboulero.
Dans les fauteuils de l’une des salles les plus confortables de France, offrant en outre une visibilité parfaite de l’ensemble de la scène, le public participe aussi, grâce à la partition glissée dans le programme, au « Refrain du muguet » et à la « Valse de Ciboulette » (« Amour qui meurs »), reprise en bis à la fin du spectacle, dont les interprètes sont longuement ovationnés.
Après une représentation de la même production (et une distribution en grande partie différente), notre confrère Antoine Brunetto quittait le 18 février dernier l’Opéra Comique « tout sourire » (voir son compte rendu). Ce soir, c’est plutôt la mélancolie qui l’emporte, et c’est avec un indéfinissable sentiment de nostalgie bienheureuse que nous quittons le théâtre de Saint-Étienne, songeant aux mots d’Antonin découvrant l’amour dans la tristesse, tentant de se convaincre qu’il est « le plus heureux des hommes » en constatant : « le bonheur au fond c’est peut-être triste ».