Pour la 13e édition des Soirées Lyriques de Sanxay et pour son site gallo-romain (situé entre Poitiers et Niort), Jack Gervais remonte La Traviata de 2002, avec quelques nouveaux aménagements, dans un décor très centré sur les accessoires, des lumières chaudes ou lactescentes selon les teneurs festives ou tragiques des scènes. Pas de lecture politique du drame dans sa mise en scène, plutôt une mise en espace socio-historique. A noter tout de même l’annonce judicieuse, dès l’ouverture, de la mort de Violetta qui évoque déjà, cercueil sur scène et déambulation implacable des figurants représentant la mort, que le destin de la demi-mondaine, quoi qu’elle fasse, est déjà scellé. Musicalement, puisque que c’est ainsi qu’écrit Verdi, on perçoit l’aspect cyclique de l’œuvre, puisque l’ouverture est l’amorce du dernier acte, puisque le premier grand air de Violetta « E strano » rejoint l’ultime « E strano » au moment de son « sursaut de vie », à la fin de l’œuvre.
Le chef d’orchestre Didier Lucchesi, régulièrement invité à Sanxay, est de ces chefs qui « donnent tout » comme on dit dans le métier : les départs, les dynamiques, les intentions. Le placement des premiers violons au centre de l’orchestre est un choix savant pour le plein air et pour cet ouvrage. Les basses orchestrales ne sont pas si importantes dans ce Verdi là, surtout quand la star des stars, Fabio-Maria Capitanucci alias Germont père, domine à ce point le plateau.
Capitanucci éclipse en effet absolument tous les autres rôles masculins y compris son « fils », le ténor Stefan Pop, pourtant solide ténor verdien, choisi par les bons soins de l’excellent directeur artistique du festival au goût très sûr, Christophe Blugeon. Les engagements 2013-2015 du baryton le conduiront à Vienne, Munich, Milan, Londres, New-York… Bref, rien d’étonnant car on aurait peine à extraire l’air ou le duo qu’il a le mieux « réussi ». C’était parfait au niveau de l’intensité, du jeu, de l’écoute de sa partenaire Lianna Haroutounian tout au long de l’acte II. Capitanucci a cette qualité rare d’être attentif à l’autre au lieu d’asseoir son personnage et de « ramasser » (autre jargon-métier), avant toute autre chose. Dans ces conditions, certaines analyses freudiennes nous donnent raison : le personnage central serait Papa Germont et Traviata, lorsqu’elle dit « Je suis une femme et vous êtes chez moi » serait dans un défi de séduction, comme toutes les belles-filles. Admettons. Ce soir, cela nous arrange.
Lianna Haroutounian ne démérite pourtant pas. Elle est une Violetta bien différente de Fabienne Conrad qui nous avait beaucoup émue à l’Opéra de Rouen en mai dernier (cf. recension de Brigitte Cormier) avec une prise de rôle ultra-sensible, qui cherchait la cohérence entre le souffle imposé par la tuberculose et l’écriture du rôle : exercice périlleux, mais non moins fascinant pour l’auditeur. Notre Traviata de Sanxay est plus vindicative, davantage soprano verdienne, dans la force de son propre destin, dans le dessin assurément maîtrisé du phrasé, des climax, dans l’excellente de la projection pour le plein air puis dans l’atout de da tessiture. Tout nous parvient, avec nuances en prime.
Stefan Pop, en Alfredo, est un acteur un peu statique mais un chanteur dans la clarté de son élocution, dans une sensibilité de timbre étonnante.
Le Chœur des Soirées Lyriques de Sanxay, imposant en nombre et lié à une mise en scène difficile à mettre en œuvre (beaucoup de choses « à faire »), rejoint par de très bons danseurs pour les bohémiennes, les matadors de Madrid, manque de réactivité rythmique mais peu importe : il touche tout de même son auditoire grâce à l’écriture verdienne, et c’est bien là le principal.