Ca commençait à bien faire ! Voilà plus de soixante ans qu’on se demandait qui se trouvait au bout du fil dans la conversation téléphonique de l’opéra la Voix humaine de Poulenc !
Eh bien, le compositeur Thierry Escaich et l’écrivain scénographe Olivier Py nous ont apporté une réponse. Ils l’ont fait dans un ouvrage intitulé Point d’orgue, dont la création a eu lieu sans public, captée en vidéo, au Théâtre des Champs Elysées, en deuxième partie d’une représentation de ladite Voix Humaine.
Patricia Petiton dans la Voix humaine © Vincent Pontet
Voici leur réponse : l’individu au bout du fil n’était pas le macho qu’on attendait mais un être dépressif essayant de calmer sa détresse en vivant avec un autre homme. Telle est la vision du duo Escaich-Py. Il faut l’accepter ainsi. Leur point de vue et leur Point d’orgue sont en tout cas fascinants.
La rotation du décor imaginée par le metteur en scène Oivier Py @ Vincent Pontet
Leur ouvrage nous a éclaté au visage avec autant de force théâtrale que musicale.
Total respect, maître Escaich ! Vous êtes arrivé à traiter la voix chantée dans l’exacte continuité de Poulenc. Votre orchestre vit, vibre, est animé d’un permanent élan rythmique. Votre musique « post moderne », ni tonale ni dissonante, entretient le suspens, chauffe le drame. Les pizzicatos pleuvent, un clavecin se fait entendre, la trompette luit d’un éclat métallique, les cloches sonnent lorsque la femme dit « adieu », l’orchestre imite l’orgue : tout cela est d’une foisonnante richesse sonore.
Les interprètes étaient de premier ordre.
La soprano Patricia Petibon nous a fait un numéro époustouflant de chanteuse et d’actrice. Sa voix a épousé à merveille le style de Poulenc. Elle a poussé à l’extrême les égarements de son personnage. Le baryton Jean-Sébastien Bou et le ténor Cyrille Dubois n’ont pas été en reste. Tous deux sont allés au bout d’eux-mêmes dans leur performance vocale et physique.
Olivier Py n’a pas hésité à faire tourner autour d’eux la chambre dans laquelle ils se trouvaient. Les murs se sont transformés en toboggans et le plafond en plancher. Ca c’est du théâtre ! Py en est un maître. Dans la Voix humaine il a remplacé le vieux téléphone de Poulenc par un écran vidéo moderne. On n’arrête pas le progrès ! Mais cela rendait caduque la sonnerie de téléphone jouée par le xylophone à l’orchestre.
L’orchestre, justement, était celui de Bordeaux-Aquitaine. Présent et précis, il fut très bon sous la direction de Jérémie Rhorer.
Il nous a servi jusqu’à l’ivresse un breuvage inédit qui pourrait faire un malheur par la suite : le cocktail Poulenc-Escaich.