Vendredi 26 septembre l’opéra Bastille faisait monter sur scène la deuxième distribution de la reprise de la production de la Traviata, mise en scène par Benoit Jacquot (compte-rendu de juin ici et de début septembre là). Dans la fosse, Dan Ettinger tient la baguette ; Venera Gimadieva, Ismael Jordi et Luca Salsi qui incarnent Violeta, Germont fils et père..
La soirée commence mal. Une panne électrique retarde le début de la représentation, impossible d’éteindre le plafonnier de la salle. Elle réduira l’acte II à sa plus simple expression : le banc de pierre, seul rescapé du décors. La gêne est inexistante, tant le dispositif imaginé par Benoit Jacquot apparaît vain maintenant qu’il a disparu. Non, ce soir l’écrin est avant tout dans la fosse. Dan Ettinger est un chef exigeant, il demande à ses musiciens et à ses chanteurs une attention de tous les instants. Il faut le suivre dans les contrastes qu’il impose d’une phrase à l’autre, dans un point d’orgue impromptu qui vient allonger une note, dans les crescendi menés accelerando des scènes de tutti. Tous le suivent, sauf peut-être les chœurs de l’Opéra de Paris, un peu mous dans leurs attaques au premier acte et manquant de puissance au moment de la fête chez Violetta, une fête devenue morbide dans la vision du cinéaste. Anecdote amusante, alors que Ismael Jordi s’apprête à entonner de sa voix claire le brindisi, une sonnerie de portable retenti. Dan Ettinger maintient sa baguette en l’air, et se tourne goguenard vers le coupable le temps que celui-ci retrouve la touche « silence » de sa petite machine. Une fois le calme revenu, le chef lancera enfin la page célèbre de l’opéra. La charpente du drame, le chef l’assoit aussi sur un travail fin des pupitres et notamment des cordes : violoncelles et contrebasses sont le pivot rythmique sur lequel viennent se déposer les violons, la petite harmonie et les cuivres. Jamais clinquante, à l’opposé de la fadeur métronomique de la série de juin, cette Traviata vit pleinement et respire la justesse dramatique.
Le théâtre nait aussi de l’intelligence des chanteurs. Des comprimari, tel Florian Sempey en Marquis d’Obigny, qui en deux interventions à la ligne élégante et un regard enjôleur construit son personnage de noble frivole, et tous sont à l’avenant, sans faille et engagés.
En tête d’affiche, le Germont de Luca Salsi ne séduit pas en permanence. La faute à des attaques étrangement aspirées, des imprécisions de justesse et une accentuation quasi-systématique sur les premières syllabes des mots qui brise la ligne de son chant. Il compose toutefois un personnage tout en rigidité, tant dans le maintien que dans la voix. Son entrée en scène est presque vindicative, le « Di Provenza » inégal, la première partie étant émaillée des défauts relevés plus haut, là où la seconde partie de l’air voit se développer une belle ligne et un legato élégant, la projection et le volume du baryton italien lui assurant un beau succès auprès du public.
Ismael Jordi continue ses prises de rôle dans les grandes maisons européennes, après Londres en juillet dernier où il incarnait Leceister dans Maria Stuarda (voir compte rendu), il faisait lui aussi ses début sur les planches parisiennes. La prestation est réussie vocalement sans briller particulièrement. La technique est assurée et si la voix est claire, elle sait se parer de soleil à l’occasion, et s’appuie sur un souffle long que l’artiste sollicite en conclusion de son air du deuxième acte, en tenant la note finale assez longuement. Pourtant l’aigu n’est pas souverain et il lui manque un brin de puissance et un peu de générosité dans les variations.
Enfin, triomphatrice de la soirée, Venera Gimadieva, qui après Limoges (2013) et Glyndebourne cet été, entre autres, effectue une première parisienne parfaite. Technique, solidité des registres, beauté des aigus, elle est impériale dans le premier acte où sa longueur de souffle lui permet d’enchainer les phrases du « Sempre Libera » avec aisance et de conclure la cabalette au suraigu. Son timbre corsé et rond fait ensuite merveille dans le deuxième acte, où libérée, elle peut enfin tisser son personnage autour de demi-teintes, de piani déposés sur une fin de souffle, d’accents plus forts aussi quand la dévoyée est encore révoltée. Le troisième acte sera de la même eau : la lecture de la lettre est très convaincante et l’« addio del passato » dans des nuances piano, tout en retenue. Aux saluts, c’est une demi standing-ovation qui l’accueille. Peut-être le public parisien était-il fatigué d’une soirée qui a cumulé trente minutes de retard.