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La traviata — Orange

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Spectacle
3 août 2016
Équipe épique pour folle équipée

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Opéra en trois actes

Livret de Francesco Maria Piave d’après le roman d’Alexandre Dumas fils, La dame aux camélias

Créé au Théâtre de la Fenice de Venise le 6 mars 1853

Détails

Mise en scène

Louis Désiré

Scénographie et costumes

Diego Mendez Casariego

Lumières

Patrick Méeüs

Violetta Valéry

Diana Damrau

Flora Bervoix

Ahlima Mhamdi

Annina

Anne-Marguerite Werster

Alfredo Germont

Francesco Meli

Giorgio Germont

Placido Domingo

Gastone di Metorières

Christophe Berry

Il Barone Douphol

Laurent Alvaro

Il Marchese d’Obigny

Pierre Doyen

Il Dottore Grenvil

Nicolas Testé

Giuseppe

Rémy Mathieu

Choeur des opéras d’Angers-Nantes, Avignon et Marseille

Orchestre National Bordeaux-Aquitaine

Direction musicale

Daniele Rustioni

Orange, Théâtre antique, mercredi 3 août 2016, 21h30

« Le festival, qui par […] son nom même, pourrait n’être qu’une fiesta comme les autres, est devenu le rempart du citoyen contre la culture industrielle […] un berceau de la résistance ». Ainsi proclame Ivan A. Alexandre, en conclusion de sa chronique dans le numéro estival de Diapason ; d’autres ont dit, chanté le frémissement des ces nuits sonores qui font à la fois le charme et peut-être bien, aussi, une des spécificités des étés français, quand le son, la rumeur remplacent le bruit (Voir l’éditorial de Sylvain Fort, ici même en juillet 2008). Et on pourrait convoquer d’autres plumes ; et on ne s’en privera pas, d’ailleurs.

Résiste-t-on, à Orange ? Sans doute, oui et notamment ces derniers mois (voir brève du 24 décembre 2015). Mais plus que de résistance, ne s’agit-il pas plutôt de cultiver ? Culture, gros mot ! À la fois travail méticuleux, presque sous cloche si ce n’est sous serre – à l’abri du mur du Théâtre antique –, et dur labeur de plein air aux muscles bandés, qui ne s’effectue pas sans effort – mais qui croit encore que la culture est, humainement au moins, gratuite ?

Chaleur toujours. On a convoqué des plumes célèbres ; on se permettra, aussi, d’en appeler à nos vieilles grand-mères : « Plaisir d’offrir, joie de recevoir ». Maxime élémentaire ; révélatrice, aussi, de l’équilibre instable à tenir, de l[‘]a[l]chimie délicate à préserver pour que s’opère, pour que se cristallise la rencontre entre un titre – La traviata, ici ; mais il n’y en a pas tant d’autorisés pour le festival –, et un public. Donc, don et rétro-don suivant la tradition des ex-voto ; parce qu’il y a de cela, ici et parler de dévotion, de sens du sacré n’est pas abusif – les chanteurs parlent des « pierres » autant qu’ils parlent avec elles, les font parler ; et le public, lui, vient admirer des semi-divinités dans une ambiance à la fois païenne et recueillie avec ce fort sentiment d’habiter individuellement un corps collectif. Là, et surtout pour chacun, le festival prend toute sa dimension qui est de grandir dans le partage. Alors : culture, gros mot ?

Dans la production verdienne, La traviata clôt la trilogie dite populaire – à entendre dans son sens le plus noble, à la fois large et élargi d’adhésion unanime – ; et pour le compositeur, suivant ses propres termes, ses années de galère. Un « Brindisi » et les pampilles miroitantes d’une grappe de « Follie » sur un air de « Ça va mieux ». En tout cas, ça va toujours mieux en le disant. Mais La traviata a-t-elle jamais été mal servie à Orange depuis 1993 ? Kathleen Cassello et Roberto Alagna ; Patrizia Ciofi et Vittorio Grigolo pour quelques couples récents, ça vous plante un tableau. Ex-voto, charge pieuse perpétuelle ? Pas, en tout cas, jusqu’à invalider in petto l’avenir ; le cru 2016 l’aura assez hautement prouvé.

À Orange, les conditions de l’exercice étant ce qu’elles sont, on donne souvent plus à voir qu’à regarder ; à entendre qu’à écouter. On le croit, du moins. Affaire de signes, de symboles ; camper une silhouette, détourer un profil, suggérer un regard. Gageure quand il s’agit de La traviata qui connaît moins d’éclats que de moments ou bien raréfiés, ou bien saturés ; où le tourbillon, l’abîme sont souvent intérieurs et se donnent, encore une fois, plus à sentir en demi-teintes, à demi-mots doux-amers. Ce n’est pas que Verdi, ni Piave ne soient francs ; peut-être au contraire l’étaient-ils trop même, et trop hommes de théâtre surtout, chacun à sa manière – à la fois intuitive et éprouvée –, pour diluer le drame dans la banalité d’une succession de brillants distribués en interminables sautoirs. Au milieu de la foule même – et peut-être là plus qu’ailleurs –, La traviata ne donne jamais à voir que des solitudes, des parcours individuels hésitants, fragiles, boiteux. Reprenant la main, la scénographie de Louis Désiré et la direction de Daniele Rustioni non seulement le savent d’instinct, mais encore le transmettent – tradition, toujours. Le premier avec un dispositif scénique beau et puissant assorti de projections bien distribuées, à la fois cadre de scène et miroir brisé – le paradoxe selon Diderot ? –, où le chœur même est un mur de plus, un motif en soi, et d’autant plus oppressant qu’il est mouvant, comme une marée au reflets/éclairages changeants parfaitement adaptés au lieu ; le second par une direction d’orchestre qui avance, et fouette et claque mais sait aussi se poser sans être poseuse, porter, supporter sans être jamais ni mièvre, ni naïvement compassionnelle en dévoilant un nuancier toujours difficile à tenir en plein air – les deux airs de Violetta en sortent à la fois fermement modelés et très exactement colorés là où le demandent et le compositeur, et le librettiste. Quant à l’état de la partition, les deux Germont ont leurs cabalettes respectives – et la sienne est assez inaccessible à Domingo, en fait –, mais Violetta n’a que son second air complet ; ce qu’on regrette quand se dresse comme une exhortation sa « tomba ai mortali ».

Des voix, pour tout cela ? Assurément : et luxueuses encore ; et pas seulement sur le papier ; et pas seulement pour les rôles principaux – les chœurs, Douphol, Grenvil : surchauffés par l’enjeu, par l’ambiance ou inversement.

Engagé et long « en oreille », l’Alfredo de Francesco Meli ; beau métal solidement mis en œuvre, comme on lamine le cuivre. Le travail est d’orfèvre, d’un orfèvre sûr mais sans afféterie qui ne cherche pas à faire du héros autre chose que ce qu’il est : un brave garçon, un peu ballot, poète peut-être mais naïf ; et chez qui le mouvement est aussi, parfois, vain et velléitaire. Son personnage ? Consonnes, voyelles ; une émission parfois agitée, plus souvent un peu molle, sans le fouetté des premières ni toutes les couleurs des secondes –, jusqu’à un acte III qui s’éteint – ou s’exhausse, c’est selon – dans un regret franc et sincère. Modeler, donner forme, donner une vie sans abîmer : le juste poids de matière disposé au bon endroit dans un rapport honnête de solidité sans faux brillant. Un Alfredo ; mais un Alfredo convaincant, si ce n’est complet.

Fameux, aussi, le Germont de Placido Domingo. Pour lui et pour la dernière fois, on convoquera une plume dont on aimerait n’être, encore, qu’un pâté dans la marge froissée d’un manuscrit mineur : « Une fois la décision prise, fermer l’oreille à l’objection même la mieux fondée, c’est le signe d’un caractère fort ; cela implique à l’occasion la volonté d’être stupide »*. La décision, chez Domingo, c’est la passion (voir son interview) ; la même passion qu’il suscite chez le public – et la réaction à Paris hier, dans ce même rôle, comme à Orange est éloquente, en la matière. La même passion encore – mais déçue, elle, et qui ne veut pas assumer sa stupidité, alors ? –, qui suscite la défiance de certains face à la reconversion du ténor star en star omnipotente ; de la voix horizontale – des Italiens à Wagner et Strauss –, à l’organe vertical – creuser, revenir à une hypothétique condition première de baryton. On aime ; on est stupide ? Pourquoi pas ; fermez le ban ! Alors : Domingo baryton, pour autant ? Sans doute pas ; et de manière audible et même parfois cruelle pour ses partenaires ténors – matière et volume. Baryton verdien : encore moins, si l’on considère objectivement la typologie vocale imposée de facto, certes brillante dans l’aigu mais appelant un registre grave solide et sonore, sonnant ; un authentique métal qui n’est pas qu’une feuille martelée, repoussée, mais une fonte pleine aux riches effets de surface. Mais verdien : oui, assurément ; et plutôt deux fois qu’une, même ; et autrement électrisant que beaucoup. Et chanteur ; et artiste. Non seulement par son passé mais encore parce cette capacité re-créative – récréative aussi oserons-nous dire, dans son sens le plus noble de divertissement qui (s’)abstrait (d’)une contingence… du temps, en fait – qui semble s’inventer hic et nunc, voix et corps musical/musicien, tenu sous le regard médusé de chacun ; non pas à chaque rôle mais à chaque note. Affaire de style ; d’être, en fait. Être, avoir été ; mais être encore et sembler pouvoir être toujours. Et pour les siècles des siècles, amen !

« À la fois Jenny Lind et une Rachel » nous dit André Tubeuf quand il s’agit de qualifier « l’introuvable voix de Violetta » ; gageure – la trouver, et singulièrement ce profil-ci, mi-rossignol mi-pigment, matière et couleur – s’agissant de l’une des œuvres les plus représentées du répertoire. Verdi, qui a beaucoup écrit sur ses attentes propres quant à ses interprètes et auquel chacun – ceux qui sont pour, ceux qui sont contre et ceux qui occupent le terrain par principe – se rallie, les morts s’exprimant toujours très à propos, Verdi donc a qualifié ainsi les qualités de son interprète : elle « est belle, émouvante, se tient bien en scène, qualités optima pour La traviata ». Ermonela Jaho est tout cela, quoi qu’elle chante ; même quand elle regarde plus au-delà qu’en-deçà de Verdi ; et même si sa Violetta déjà bien connue – Münich, Madrid, Vienne, Paris, Lyon ; sacrée Carte du Tendre, déjà – a pu paraître parfois brouillonne, instable si ce n’est fragile et notamment comme pour beaucoup de ses consœurs, dans les redoutables écarts de l’acte I. Donc, Ermonela Jaho paraît parfaitement verdiano-compatible dès lors qu’elle remplit les conditions énoncées par le compositeur. Elle a, en plus, ce que Verdi n’a pas écrit ou alors dans sa partition seulement, oserons-nous dire : le courage bravache, la fierté aussi, la robe fameuse d’un pur-sang, à la fois maverick ombrageux et jarret au dessin griffé d’animal de haute-école. Où certaines voix s’enroulent comme un liseron, comme une clématite duveteuse autour des mots fourbis, fouaillés par Piave/Verdi, Jaho attrape, arrache, même sans grâce et avec le mordant d’une machine-outil ; machine dynamique – sens musical compris – et pneumatique – c’est-à-dire en rapport constant avec le souffle. C’est qu’elle construit un personnage organique à la voix riche et à la psychologie complexe, authentique plante tropicale fièrement dressée, poussée dans une touffeur de jardin d’hiver bourgeois. Est-elle exempte de défauts, pour autant ? Sans doute pas ; comme ses collègues du soir, elle a ses faiblesses et son métal pourra paraître anguleux, peut-être bien sans séduction particulière à celles et ceux qui ne le trouveront pas angulaire, nécessaire dès son entrée en scène. Mais une Violetta crédible, ce n’est pas assez ; une Violetta qui lorgne après Verdi et, vocalement, plonge du côté des grandes anciennes, affranchies et modelées en pleine pâte – Cebotari plutôt que les impeccables grammairiennes bel cantistes, Zeani aussi –, non plus. Singulièrement, ce qui fait que Jaho embra(s)se ici, c’est sa qualité de troupière, au sens noble ; de partenaire – chapeau, au passage, à la bonne camarade qui, en l’espace de trois semaines, a sauvé une production de La traviata à Munich par défection de Sonya Yoncheva, à quelques jours de sa Butterfly à Orange déjà et qui récupère ici, à la volée, le flambeau échappé des mains de Diana Damrau souffrante. Paradoxalement – ou pas, justement – c’est peut-être seule en scène qu’elle étreint le moins. Le miroir voulu par Louis Désiré, c’est elle, en réalité : une surface réfléchissante – réflexive ? – qui appelle un cadre. Avec Germont fils, elle est toute femme ; avec Germont père qui la salit, qui la traviate – c’est-à-dire, qui la décale, la bouscule, qui la jette hors du chemin –, elle est Marie-Madeleine, sacrifiée et rédemptrice. Là où passe l’ombre d’une altérité en général, Violetta s’échauffe ; là s’exhale le tempérament, le souffre ; là remontent à la surface les scories d’une voix carnée et même violente et peut-être même violentée.

Ça fait des imperfections, évidemment ; ça fait des détails, de ceux où se loge le diable. Mais dans un opéra dont l’humain, avec ses replis, ses faiblesses comptent tant, où les grandeurs ne s’éclairent que par les petitesses – et où les secondes se rachètent par les premières –, des défauts peuvent facilement devenir des qualités. Comme chez Maurice Chevalier, où la somme des inconséquences de chacun « fait d’excellents Français », l’engagement de tous ici, jusqu’à la rupture, fait une excellente Traviata ; la « marque Orange » a, à cette aune, encore de – très – beaux jours devant elle.

* Nietzsche ; mais on aurait tout aussi bien pu convoquer Stendhal : « Je proclame hardiment un principe qui me semble, du reste, tout à fait à la mode : je me déclare partial. L’impartialité, dans les arts est, comme la raison en amour, le partage des cœurs froids ou faiblement épris ».

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Détails

Mise en scène

Louis Désiré

Scénographie et costumes

Diego Mendez Casariego

Lumières

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Violetta Valéry

Diana Damrau

Flora Bervoix

Ahlima Mhamdi

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Alfredo Germont

Francesco Meli

Giorgio Germont

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