Tambour battant, Marc Minkowski dirige cette reprise de la très classique et populaire production de Richard Eyre au Royal Opera House. Une Traviata où la fosse fait la course en tête devant les chanteurs qui n’en peuvent mais. Venue en prompt renfort de Sonya Yoncheva, alitée par son médecin, Marina Rebeka est une Violetta intense au milieu d’une distribution qui ne brille guère.
Invité pour la deuxième fois outre-Manche après Idomeneo en début d’année, éloigné de son répertoire familier et à la tête d’un orchestre classique, Marc Minkowski compense un manque de contraste entre les pupitres par un travail de tous les instants sur la pulsation : rapide au global et hâchée dans le détail, sans que le terme soit péjoratif. Il ouvre le drame très lentement sur un long crescendo, pour immédiatement plonger dans la fête et sa frénésie. On ne reprochera pas à pareille lecture un manque de vie ou d’à-propos, notamment dans toutes les scènes mondaines particulièrement réussies. D’autant que la cohésion orchestrale est parfaite dans cette optique. Mais, souci de taille, cette cohésion ne se retrouve pas en permanence entre la fosse et les interprètes. C’est flagrant dans la deuxième scène de fête, chez Flora, où les chanteurs, à rebours, courent après le tempo du chef au point de malmener leur ligne vocale. A l’inverse, il arrive que le français s’attarde trop sur certains points d’orgue. « Amami Alfredo » est ainsi chanté en décalage complet. Cet unisson manqué finit de tuer une émotion que Marina Rebeka peine à faire naitre.
La soprano lettone ne manque pourtant pas d’arguments, voix corsée dotée d’une technique à toute épreuve et d’un aigu assuré, elle vient à bout du premier acte avec aisance, culminant sur un contre-mi chanté mais non tenu. Elle s’investit en scène dans une Violetta qu’elle incarne volontaire, en adéquation avec son tempérament vocal. Avare de piani et de demi-teintes c’est presque une révoltée qu’elle propose au troisième acte. Elle a pour partenaire Ismael Jordi, entendu en ces lieux dans Maria Stuarda l’an passé et à Paris dans le même rôle. Il déçoit. Le texte et sa signification semblent être le cadet de ses soucis, concentré qu’il est sur des aigus récalcitrants. Les appels depuis les coulisses le trahissent immédiament. Certes la couleur est belle, mais les notes de passages mettent parfois à mal la justesse. En Germont père, Franco Vassalo ne retient pas d’avantage l’attention. La ligne est châtiée, mais la couleur est claire, à l’image d’une caractérisation sommaire. Dommage car à Londres le rôle n’est pas amputé à la fin du deuxième acte (de même que les interventions sur la coda orchestrale à la toute fin). Les bonheurs sont divers chez les comprimari : Annina (Pamela Helen Stephen) est au diapason de sa maitresse du soir, sonore, engagée et autoritaire même dans ses interventions. En comparaison, Flora (Angelica Voje) est bien pâlotte chez Violetta à l’acte 1 et plus en voix en acte, chez elle, à l’acte 2.
Reste la production de Richard Eyre, élégante, très petits-fours et champagne. Inaugurée avec Angela Georghiu et Georg Solti en 1994, elle présente l’avantage notoire de fonctionner comme un chausson confortable dans lequel des générations de chanteurs ont trouvé leurs marques instantanément. Elle soigne les détails dans les relations entre les personnages, y compris dans les mouvements et situations entre les personnages anonymes du chœur. Le tout confère vie et réalisme : la définition même du bel ouvrage, celui qui représente sans interroger l’œuvre, laissant aux autres interprètes le soin d’apporter leur conception. On pourrait trouver de nombreux points communs avec les options retenues par Benoit Jacquot à Paris (la chambre au troisième acte, l’escalier etc.), à la différence que le Français a pensé captation et cinéma quand le Britannique a conçu pour la scène.