De Nannetta (Falstaff) à Violetta, il y a un fossé large et profond que Sabina Puertolas aura mis moins de trois ans à franchir. Hier encore – octobre 2009 – fille d’Alice Ford (voir recension), elle est aujourd’hui, sur cette même scène de l’Opéra de Wallonie, une courtisane incontestable. Dieu sait pourtant ce que Traviata exige de technique et d’endurance. D’un rôle crucifiant entre tous, Sabina Puertolas possède déjà la silhouette et la séduction d’un timbre dont les ans ont épanoui la chair sans la meurtrir. Les coloratures du premier acte, contre-mi bémol inclus, sont simple formalité pour celle qui chantait Gilade dans Farnace au Théâtre des Champs-Elysées il y a encore peu (voir recension). Moins évident, la voix résiste sans mal à la charge sonore des deuxième et troisième actes. On est même surpris par sa puissance et par la façon dont elle s’impose face à la masse chorale et orchestrale : le finale du deuxième acte, bien sûr, mais pas seulement, tout le duo avec Germont et un « Addio del passato » dont la réussite repose sur l’habileté à varier l’intensité du son. Que manque-t-il alors à cette Violetta pour s’imposer davantage ? Un registre grave plus développé et surtout une composition plus fouillée. Le personnage est dessiné, il lui reste à sortir du domaine de la convention pour exister véritablement.
Sans doute aurait-il fallu à la petite soprano espagnole qui monte un metteur en scène plus inspiré que Stefano Mazzonis di Pralefera. Cette Traviata, déjà présentée à Liège en 2009, ne restera pas dans les annales. L’approche – critique sociale à l’encontre des bourgeois (« des voyeurs, des gens qui se posent en moralisateurs et se comportent de manière hypocrite ») – présente l’inconvénient de parquer les choristes sur des chaises au fond du plateau, ce qui en fait certes des voyeurs mais, dans le finale du deuxième acte, ne favorise pas le mouvement. Le kitch des décors reste une affaire de goût, le conformisme de la direction d’acteur, les clichés scéniques – feuilles mortes puis flocons de neige qui tombent des cintres – sont plus discutables. Seuls les costumes de Kaat Tilley, difficiles à situer dans le temps (Belle Epoque ?) offrent, avec leurs couleurs bariolées et leurs formes végétales, davantage d’originalité.
Comme souvent quand la mise en scène traîne des pieds, la direction musicale se charge d’apporter au spectacle le théâtre qui lui fait défaut. Après un premier acte d’échauffement, Luciano Acocella prend ses marques et parvient à ce qu’Orchestre et Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie donnent le meilleur d’eux-mêmes. Le parti-pris très risorgimental, avec de violents contrastes, compense efficacement la modestie du vocabulaire scénique, au risque de faire contresens. Le choix, malheureux, d’avoir placé la banda au premier acte dans la fosse a dû être dicté par la configuration des lieux (les représentations ont lieu sous un chapiteau temporaire à la périphérie de la ville en attendant la réouverture du Théâtre Royal en septembre prochain). On ne comprend pas en revanche les coupures pratiquées : suppression des reprises dans les airs à l’exception d’« Addio del passato » qui garde ses deux couplets et carrément passage à l’as de la cabalette de Germont.
On aurait pourtant aimé entendre ce que Giovanni Meoni fait de cet air, lui qui sans bénéficier d’un bronze inoubliable, expose une vaillance à toute épreuve. Le chant s’affirme solide avec une largeur confortable, du mordant, du souffle et mieux encore une expression, juste, qui n’abuse pas de noirceur (le timbre de toute façon ne le permettrait pas).
Nouveau venu sur la scène liégeoise, Xavier Cortes laisse une impression plus mitigée. L’éclat convient mieux au ténor mexicain que le sentiment. Si son répertoire comprend Nemorino, Tonio, Edgardo et Arturo des Puritains, ce n’est pas le velours qui fait le prix de son Alfredo mais plutôt la bravoure et des accents fiévreux que l’on apparentera à de la passion.
Parmi les nombreux comprimari (neuf ! un record dans le genre), on retient l’Annina de Julie Bailly, étonnamment présente – scéniquement et vocalement – dans un rôle qui d’habitude brille par sa modestie.
Interprétée en alternance par Annick Massis, cette Traviata se veut un avant-goût des festivités prévue en Wallonie pour l’année Verdi. La saison prochaine, toujours très italienne, verra à l’affiche de l’Opéra Royal deux opéras du Maitre de Busseto – La Forza del destino et I due Foscari (plus d’information).