Alors que le second Empire brille de ses derniers feux avant la débâcle franco-prussienne, la fête bat son plein au théâtre des Variétés. Offenbach y crée La Périchole en 1868, une opérette tirée de la comédie de Prosper Mérimée, Le Carrosse du Saint-Sacrement.
On a du mal à imaginer que l’auteur qui inspira aux fidèles librettistes d’Offenbach, Halévy et Meilhac, le livret de Carmen (en 1875), soit le même qui leur fournit le sujet de La Périchole… Et pourtant. La Périchole, c’est un peu l’envers du décor, la face sombre – parce qu’elle brille artificiellement – de Carmen. Alors que la gitane tragique va jusqu’au bout de sa liberté, la « jeune Indienne » se soumet aux caprices du pouvoir, simplement parce qu’elle a faim.
Comment supporter cette abdication, si ce n’est en s’enivrant ? Le petit peuple l’a bien compris, qu’on a « payé pour s’amuser » dès le début de ce drame qui a des allures de vaudeville. Olivier Desbordes et Benjamin Moreau ont donc pris le parti de faire de cette « griserie » généralisée le moteur de leur mise en scène. Trépidante, effrénée, l’opérette est un cocktail de « tubes » étourdissant, dont le rythme tient à la réduction maximale des dialogues. Desbordes a sabré dans le texte pour ne garder que l’essentiel et enchaîner les couplets que le public se retient de chanter à tue-tête – on aura quand même le droit de brailler tous en chœur : « Il grandira, il grandira, car il est espagnol (gno-gno-gno-gno-gnol) » !
© Guy Rieutort
Dans ce contexte, le brio l’emporte sur les défauts, et l’on n’a pas le temps de s’appesantir sur une voix qui pèche (Flore Boixel, une des trois cousines) ou un chanteur qui cabotine un peu trop (Philippe Ermelier, le Vice-Roi) – puisqu’après tout, il faut surjouer son rôle pour survivre dans ce monde de paillettes et d’apparences. La gaîté doit l’emporter sur tout, et le duo délibérément très « gay » formé par Don Pedro de Hinoyosa (Éric Vignau) et le comte Miguel de Panatellas (Yassine Benameur) n’est pas en reste dans la tonalité un peu égrillarde de cette comédie.
On regrettera toutefois qu’Héloïse Mas (La Périchole), n’ait pas un jeu théâtral aussi délié que certains de ses collègues, comme Antoine Baillet-Devallez qui fait une apparition très « folle » en marquis de Tarapote. Malgré sa belle voix sombre, l’interprète du rôle titre n’a pas le brillant de son personnage, dont on perd à la fois l’insolence et le caractère émotif. A ses côtés, le ténor Marc Larcher possède non seulement le physique de l’emploi mais un jeu expressif et charmant qui lui donne finalement la première place, en dépit d’une voix aux inflexions parfois empruntées.
Autour de ce duo de chanteurs assez dégourdi, un chœur de taille réduite contribue largement à ces folies dramatiques et met à profit de façon remarquable les conseils de la chorégraphe Pascale Péladan. In fine, l’ensemble du plateau bénéficie de l’énergie exceptionnelle du chef d’orchestre, Jérôme Pillement. Menant d’une main à la fois nonchalante et vive un ensemble musical de taille réduite, J. Pillement fait sonner la fosse comme un big band, traversé de temps à autre par les accents nostalgiques et populaires d’un accordéon.
Malgré quelques décalages entre les musiciens et les chanteurs, peut-être dus à la frénésie du chef ou à la place latérale de l’orchestre, cette production d’Opéra Éclaté, créée début juillet aux Folies d’O à Montpellier, convainc par son enthousiasme et son foisonnement. Difficile de sentir, entre deux cancans endiablés, la critique du pouvoir que les metteurs en scène se targuent d’avoir voulu faire entendre. Tout au plus perçoit-on la noirceur des rapports d’argent et de pouvoir à travers des allusions musicales qui nous tirent d’emblée vers le second degré. La flûte de Papageno accompagne ainsi le suicide manqué de Piquillo, et l’accusation publique de la Périchole par son amant n’est pas sans rappeler la scène la plus tragique de La Traviata de Verdi. Mais cela ne dure pas, un éclat de rire vient tout emporter.