Après avoir donné la version originale de 1868 de La Périchole, en deux actes, au Festival de Pentecôte à Salzbourg, et avant la réalisation scénique promise à Bordeaux (du 13 au 16 octobre), Marc Minkowski propose ce soir la version de 1874, plus aboutie avec un acte ajouté, où l’on retrouve le pauvre Piquillo jeté en prison et délivré par sa chère Périchole. Dire qu’il aime et conduit cette musique avec un engagement total est faible : servi remarquablement par ses Musiciens du Louvre, comme par le chœur de l’Opéra National de Bordeaux, il anime la partition comme jamais. Son souci permanent des voix, sa connaissance intime de l’ouvrage lui permettent des phrasés, une souplesse, une vivacité, des dynamiques rares. Les couleurs de l’orchestre sont superbes et confirmeraient si besoin était les qualités d’orchestrateur d’Offenbach. Le grotesque y côtoie la sensibilité, et Marc Minkowski sait arracher des tempi endiablés comme ciseler de délicates phrases, avec toute la subtilité requise. Dès l’ouverture et le chœur de femmes invitant au cabaret des Trois cousines, on est dans l’ambiance. L’alternance des dialogues parlés, des interventions de l’orchestre, du chant, des chœurs, dans des registres allant de la franche bouffonnerie à des scènes chargées d’émotion donne à l’ouvrage cette respiration, ce rythme qui nous captivent.
Philippe Talbot (Piquillo) et Aude Extrémo (La Périchole) © Marc Ginot – Ferstival Radio France Occitanie Montpellier
La distribution ne comporte pas la moindre faiblesse, qu’il s’agisse du chant, des textes parlés comme du jeu dramatique. Les qualités de comédiens de nos chanteurs surprennent heureusement. Leur français est exemplaire et point n’est besoin de lire le surtitrage. Ils ne sont pas moins engagés que le chef et ses Musiciens du Louvre, comme le Chœur de l’Opéra National de Bordeaux. L’apparition d’Alexandre Duhamel, despote masqué, incognito, mais que chacun a reconnu, augure bien de la bouffonnerie : se dissimulant dans une cape qui laisse apparaître ses pieds nus, celle-ci s’entrouvre pour nous montrer le souverain en caleçon, vêtu d’un peignoir court. Inventive, usant de tous les comiques pour illustrer un livret qui s’y prête à merveille. La mise en espace de Romain Gilbert est une réussite parfaite. Rien ne la distingue d’une mise en scène aboutie, sinon l’absence de décors. Les chanteurs- acteurs y sont dirigés de main de maître.
La tendresse d’Offenbach à l’endroit des musiciens affamés est manifeste et c’est à eux et à leurs duos qu’il réserve ses airs où l’émotion affleure le plus souvent. Aude Extrémo, dont c’est la première apparition au Festival, fait forte impression. Telle la Manon de l’abbé Prévost, lorsqu’elle écrit sa lettre à Piquillo, notre Périchole nous touche par ses accents sincères, par sa simplicité. Comment ne pas sourire à sa griserie, si bien traduite par son chant, en relation avec l’ébriété des notaires et l’ivresse de Piquillo ? Comment résister à «Tu n’es pas beau, tu n’es pas riche », à « Je t’adore… si je suis folle » ? La voix est ample, longue et chaude et gagnera en expression jusqu’au finale, où elle s’épanouira pleinement. Son jeu, toujours juste, participe également à notre bonheur. Philippe Talbot, Piquillo, n’est pas en reste. « L’Espagnol et la jeune Indienne », les couplets « les femmes, il n’y a que ça », l’air du 3ème acte « On me proposait d’être infâme », sont autant d’occasions pour notre pauvre et tendre ténor de faire la démonstration de sa vaillance. Belle voix, claire et colorée, égale dans tous les registres, conduite avec goût et assurance, tout est là. Ses duos avec la Périchole, le dernier « Ecoutez, peupl’ d’Amérique » tout particulièrement, sont autant de réussites, nous offrant une large palette expressive. Quant à Alexandre Duhamel, c’est le roi de la soirée. Sa voix puissante, bien timbrée, toujours intelligible est connue. Il campe un Vice-roi truculent, grotesque, toujours juste, avec une énergie incroyable, jusqu’au geôlier du IIIe acte. Que ses textes soient chantés ou dits, c’est le même bonheur. Gabriel Bacquier en athlète séduisant.
Les trois cousines forment un trio exemplaire de connivence et d’harmonie, qui se fera quatuor avec l’arrivée d’ Adriana Bignani Lesca, la quatrième dame d’honneur, beau mezzo, chaleureux et sonore. Les compères au service du Vice-roi, Eric Huchet et Romain Dayez, font montre de dons réels pour la comédie, mais n’en sont pas moins d’excellents chanteurs. Enguerrand de Hys, premier notaire bondissant, et son confrère François Pardailhé forment un duo tout aussi remarquable.
Aucun doute : la production bordelaise ne pourra que renouveler ce bonheur.