Bel hommage à Offenbach que cette Périchole avignonnaise donnée sur la scène de l’Opéra Confluence* ! Inspiré d’une figure historique, l’actrice et chanteuse péruvienne María Micaela Villegas y Hurtado de Mendoza, qui fut au XVIIIe siècle l’amante du vice-roi du Pérou et surnommée La Perricholli, ce qui signifie « jolie petite indienne » selon les uns et « chienne d’indigène » selon les autres, cet opéra-bouffe (assez éloigné du Carrosse du Saint-Sacrement de Prosper Mérimée) en fait une artiste amoureuse, vertueuse et intelligente, fidèle à son amant Piquillo, comédien et chanteur. Appelée à devenir dame d’honneur de la cour pour satisfaire la concupiscence du vice-roi Don Andrès de Ribeira, elle lui résiste avec l’aide de Piquillo et obtient leur grâce en chantant avec lui la Complainte de la Clémence d’Auguss, flattant la vanité et éveillant la compassion de Don Andrès.
Offenbach, La Périchole, Avignon 2019 © Cédric et Mickaël / STUDIO DELESTRADE
En parfaite osmose avec la direction subtile et poétique de Samuel Jean à la tête de l’Orchestre Régional Avignon-Provence, qui donne à entendre la gravité et la mélancolie derrière l’amusement de façade, la mise en scène d’Éric Chevalier tire parti d’un dispositif simple mais efficace, réglé de façon aussi minutieuse que le mécanisme de précision qu’est le livret de cet opéra-bouffe. Trois blocs mobiles sur lesquels des projections vidéo créent des décors sobres, alternativement colorés et sombres selon que la scène est dans la rue, au palais ou au cachot, suffisent à camper un décor que viennent animer les lumières et les couleurs des costumes, drôles et savamment naïfs. Quelques très discrètes chorégraphies (Éric Belaud) cachent parfois les danseurs derrière les chanteurs. Aux références parodiques de l’œuvre se superposent des allusions ajoutant encore à la mise en abyme. Ainsi le vieux Prisonnier (Jean-Claude Calon) qui, dès l’ouverture, apparaît sur scène et semble vouloir délivrer les musiciens de la fosse, tels les prisonniers de Fidelio. Son apparition récurrente – au début de chacun des actes suivants, avant même le rôle qui lui est attribué, avec son basson – semble constituer le contrepoint de l’aspiration à l’amour qui caractérise le couple Périchole-Piquillo.
Si tout commence comme une farce, avec quelques réminiscences de la commedia dell’arte et certains aspects d’un spectacle de Guignol, un juste dosage des pitreries et de l’émotion concourt à une réussite théâtrale qu’il faut saluer, tant l’excès dans ce domaine est un travers courant. Ce succès, on le doit bien sûr aux qualités dramatiques des interprètes, qui presque tous allient comme rarement la justesse de la gestuelle à la perfection de la diction. En tout premier lieu le remarquable ténor belge Pierre Derhet, à la voix souple et claire, dont la projection et l’articulation parfaites permettent au public de comprendre la moindre syllabe et de voir par la même occasion en Piquillo un véritable artiste, capable d’émettre des aigus sonores et brillants, de passer avec aisance d’un registre à un autre et d’associer au chant – drôle comme dans « Le conquérant dit à la jeune indienne » ou touchant dans le Rondeau (« On me proposait d’être infâme… ») – un jeu de scène convaincant.
À ses côtés, la mezzo-soprano Marie Karall prête à la Périchole une voix chantée charnue et veloutée, avec de beaux graves, expressive – la valse chantée « Ah, quel dîner je viens de faire » est très réussie – mais parfois trop confidentielle. Le caractère du personnage pâtit un peu du jeu réservé que l’on pourrait attendre plus engagé, et la voix parlée mériterait plus de fermeté et d’ampleur.
Le vice-roi est interprété de manière à la fois irrésistible et finement nuancée par le baryton Philippe Ermelier, qui se donne de faux airs de Louis de Funès pour ce rôle comique n’excluant ni une certaine nostalgie de l’amour ni des qualités de chant lyrique (trio de l’acte III, « La jalousie et la souffrance… »). La qualité de la diction, le phrasé et la présence scéniques sont partagées avec la basse Ugo Rabec et le ténor Enguerrant de Hys, hilarants Don Pedro de Hinoyosa et Don Miguel de Panatellas, qui jouent autant de leur différence de tessiture que de taille et insufflent à l’ensemble une vraie dynamique de comédie.
Les trois cousines (qui sont aussi, dans le deuxième acte, des dames de la cour), Ludivine Gombert, Roxane Chalard et Christine Craipeau, manifestent dès le début du premier acte les mêmes qualités qui réjouissent l’œil et l’oreille. Quel plaisir, vraiment, que d’entendre un français aussi bien prononcé ! L’ensemble de la distribution, dont on ne peut citer tous les noms, ainsi que le chœur, dirigé par Aurore Marchand, emportent l’adhésion et suscitent l’enthousiasme, celui qui anime le public à la fin de la représentation, reprenant à l’invitation du chef d’orchestre le célébrissime « Il grandira, car il est Espagnol ! ».
* Cette structure provisoire en bois abrite les spectacles de l’Opéra Grand Avignon en attendant la fin des travaux de rénovation du théâtre de la Place de l’Horloge, prévue pour 2020.