Loin des grands sentiments, amour, trahisons et morts violentes qui constituent le fonds de commerce du grand opéra, Montpellier propose un spectacle composé de deux délicieuses comédies légères et drôles, dont la première est rarement représentée. La Nuit d’un neurasthénique est un court essai (35 minutes) de Nino Rota (compositeur de près de 170 musiques de films dont ceux de Fellini, mais aussi d’une douzaine d’opéras dont un charmant Chapeau de paille d’Italie – Il cappello di paglia di Firenze trop peu joué en France).
L’argument en est simple, mais ô combien permanent, le bruit la nuit dans les hôtels : portes qui claquent, clients qui parlent dans les couloirs, eau qui coule, voisins sans gêne, bref la liste est inépuisable, et notre héros a droit à la totale. Pour être tranquille, il a réservé trois chambres contigües, mais l’hôtelier malhonnête a quand même loué les deux qui encadrent la sienne : d’un côté un jeune homme inconscient installé par un portier peu discret, de l’autre un jeune couple aux ébats sonores, bref la nuit est longue, même passée à compter les moutons felliniens qui envahissent la chambre. La mise en scène de Marie-Ève Signeyrole est bien structurée, pleine de trouvailles, dans les décors à la fois allusifs et efficaces de Fabien Teigné, les costumes élégants et bien en situation de Yashi et les éclairages savants de Philippe Berthomé. Les chambres et leurs occupants se mêlent, les accessoires descendent des cintres, et les nombreuses vidéos viennent souligner l’action sans l’alourdir. Peut-être n’était-il guère utile de pousser l’insomniaque neurasthénique et misanthrope au suicide final, faisant ainsi basculer la comédie dans le drame, mais la metteuse en scène voulait à tout prix un cadavre pour faire la jonction avec l’œuvre suivante.
La Notte di un nevrastenico, Bruno Taddia (Il portiere) © Photo OONM / Marc Ginot
Après l’entracte, l’hôtelier (il portiere) qui manipulait tous les personnages dans la première œuvre devient le peu recommandable Gianni Schicchi, qui trompe allègrement son monde à la manière d’un Mosca dans Volpone. La mise en scène se fonde au fil des rebondissements de l’action sur d’incessants changements d’atmosphère et de dominantes colorées, sans que ceux-ci engendrent la moindre lassitude. De larges vidéos en fond de scène, utilisées seulement par moment et à très bon escient, accompagnent poétiquement de passages de moineaux les moments élégiaques (« O mio Babbino caro ») avant de se muer en vols d’étourneaux affamés puis en nuages de sauterelles ravageuses. La joyeuse anarchie de la première œuvre continue encore plus endiablée, et même agressive, jusqu’à culminer dans une poursuite finale à la Fellini. Un très beau travail de mise en place théâtral et de direction d’acteurs, soutenu par une vive et efficace direction d’orchestre de Francesco Lanzillotta, très attentif aux chanteurs. L’ensemble a séduit et conquis les spectateurs, curieusement clairsemés, de cette première.
Il faut dire que la distribution est à la mesure de la qualité du travail scénique. Elle est dominée par Bruno Taddia, remarqué à chacune de ses apparitions à travers le monde, et qui avait été un extraordinaire Figaro du Barbier au Châtelet. Il conserve intacts sa verve, son autorité scénique, sa voix percutante, son côté sautillant et élastique qui font merveille à la fois dans La Nuit (il portiere) que dans Gianni Schicchi (rôle titre). Cet élève de Paolo Montarsolo montre à quel point le beau chant joint à une gestuelle bien comprise peut devenir un instrument comique d’une efficacité redoutable. Bruno Praticò (le neurasthénique) est lui aussi fort drôle dans la manifestation un peu désespérée de sa monomanie psychotique, dont il exprime le caractère extrême de sa voix sonore de baryton-basse. Romina Tomasoni est irrésistible en Zita, personnage plausible en même temps que caricature effrayante, qu’elle surjoue à plaisir dans les limites que lui impose la mise en scène, en même temps qu’elle assure la partie chantée avec brio de sa belle voix de mezzo. Davide Giusti place son timbre de ténor bien projeté au service de Lui et de Rinuccio, tandis que sa parteniare Giuliana Gianfaldoni (Lei et surtout Lauretta) chante très joliment l’air attendu « O mio Babbino caro » sans toutefois arriver ni à l’intérioriser ni à le rendre vraiment personnel. Tous les autres rôles aux allures felliniennes sont tenus à la perfection. Donc au total une belle soirée, mais un peu courte, pour laquelle on aurait volontiers apprécié une troisième œuvre, par exemple un petit lever de rideau du genre du Téléphone de Menotti.