Henry Purcell (1659-1695)
Dido and Aeneas (Didon et Enée)
précédé de
Le rire (Il riso)
musique de Bruno Maderna
nouvelle création chorégraphique de Saburo Teshigawara
interprétée par les danseurs de la compagnie KARAS de Tokyo
Création mondiale
Mise en scène, scénographie, costumes, lumiere et chorégraphie
Saburo Teshigawara
Didon Ann Hallenberg
Belinda Maria Grazia Schiavo
Deuxième femme Oriana Kurteshi
Première sorcière Sabrina Vianello
Deuxième sorcière Elena Traversi
La magici enne Julianne Young
Un Esprit/Premier marin Krystian Adam
Enée Marlin Miller
Orchestra e Coro del Teatro La Fenice
Claudio Marino Moretti, chef du Choeur
Attilio Cremonesi, direction
Venise, 20 Mars 2010
La Magie de la lumière
Maderna-Purcell: un binôme à première vue rien moins qu’évident. Le compositeur vénitien était un amoureux et un profond connaisseur de la musique ancienne : dans les années soixante, il avait eu le courage de présenter – quoique sans prétentions philologiques – des auteurs comme Monteverdi et Purcell à un public point encore accoutumé à ce genre d’expériences rétro-avant-gardistes. Au même moment, Maderna s’aventurait à des expérimentations de musique électronique – dont là aussi il fut un pionnier.
La représentation a débuté avec la projection de la vidéo de Jana Sterbak “Waiting for high water”, afin de donner tout son sens à la symbiose de plus en plus convaincante entre Venise et l’art contemporain, même dans des espaces et des périodes hors-biennale.
Le théâtre devient pour un soir le lieu de rencontre de différents langages, éloignés seulement en apparence. Le fil conducteur est la beauté de ce qui nous est donné à voir. Rien que de la lumière, avec accompagnement musical.
Le Rire pour ruban magnétique, composé en 1962, n’est pas exactement le genre de morceau que l’on s’attendrait à voir apparié à une des chefs-d’œuvre du baroque anglais. Mais cette union a fonctionné à la perfection.
Saburo Teshigawara nous a hypnotisé avec une traduction chorégraphique d’une très grande beauté de l’abstruse expérience sonore de Maderna. Epaulé, pour cette performance magnétique, par les danseurs de son extraordinaire compagnie KARAS, il a pris en charge la mise en scène, la scénographie, les costumes et surtout les éclairages de cette interprétation visionnaire des deux parties au programme.
A travers cette tentative, absolument réussie, de rendre abstraite jusqu’à l’invraisemblable la lecture du drame de Didon, en imposant à la scène la pesanteur d’un vide aux mille détails minimalistes, il a réussi à sublimer la pureté de la musique. Un espace scénique unique à la couleur bleue prédominante a servi d’arrière-plan toute la soirée.
Ann Hallenberg est une formidable Didon. Son interprétation de l’héroïne virgilienne est superlative. Elle revient à Venise où elle avait interprété Agrippine avec grand succès. Sa voix est profonde, sa présence scénique prégnante, même quand la mise en scène n’exige d’elle que très peu de mouvements. On ne saurait imaginer Didon plus convaincante. Sa sensibilité dramatique est exceptionnelle, et fait d’elle une des mezzo-sopranos actuelles de référence, et pas seulement pour le répertoire baroque.
Très bons Krystian Adam dans le rôle du marin et Maria Grazia Schiavo dans celui de Belinda. Cette dernière n’a certes pas la voix idéale pour chanter Belinda mais elle a fait très bonne figure, d’autant qu’elle avait été conviée au dernier moment à prendre part à cette production.
Le reste de la distribution s’est montré tout à fait insuffisant, et inadapté à un tel répertoire.
Attilio Cremonesi a prouvé encore une fois qu’il est un interprète extrêmement sensible du répertoire ancien. Il a eu le courage de proposer de l’œuvre de Purcell une reconstruction sous sa forme originale avec ballets et intermèdes, dont les originaux se sont sans doute perdus. Il n’a pas la prétention de vouloir interpréter à tout prix, et souvent il laisse la musique au premier plan. Son exécution est profuse de couleurs, jamais agressive, toujours tendue vers la recherche d’une atmosphère.
L’orchestre, quoique non baroque, sonne avec lui de manière plus que convaincante. Le chœur, malgré quelques incertitudes sur les tempi, a fait bonne figure.
Finalement, le baroque trouve sa juste et digne dimension même à La Fenice, après plusieurs tentatives franchement mal réussies.
Giulio d’Alessio