Les Frivolités Parisiennes fêtent leurs 10 ans d’activité, toujours animées par l’envie de surprendre avec de l’inédit, du léger et du décalé. C’est en effet en 2012 que Benjamin El Arbi et Mathieu Franot ont créé la compagnie, destinée à faire revivre le répertoire lyrique léger français. Depuis, 15 spectacles ont été produits autour d’un orchestre de chambre. Ce fut l’occasion de belles découvertes et redécouvertes dont nous avons rendu compte, et qui ont fait des Frivolités un point de rencontre obligé du grand public comme des spécialistes. Des tournées à travers la France, une formation à ce répertoire destinée aux jeunes chanteurs, et des actions culturelles en direction des enfants complètent les activités du groupe, aujourd’hui en résidence au Théâtre impérial de Compiègne.
Les Frivolités s’attaquent aujourd’hui à l’opérette Là-Haut, qui fut un des grands succès populaires des années folles. Pourtant, la critique ne fut pas vraiment tendre concernant l’œuvre, malgré la présence de Maurice Chevalier et surtout de Dranem dans la distribution de la création, si l’on en croit par exemple Le Ménestrel du 13 avril 1923, qui souligne que le canevas des librettistes « n’est certes pas un des meilleurs qu’ils aient rendus », et que la partition « s’envolera en pièces détachées déjà fredonnées partout à travers le monde pour retomber sur les pianos de tous les dancings et bals privés », permettant surtout à leur auteur de gagner beaucoup d’argent. C’est en effet la loi du genre.
© Les Frivolités Parisiennes
Christophe Mirambeau, conseiller musical de la production, souligne les jeux malicieux avec les grandes œuvres lyriques, comme aimait tant le faire Offenbach. Ainsi, dès l’entrée d’Évariste, la parodie des « Anges purs, anges radieux » du Faust de Gounod, devient une espèce de refrain délirant « Y-a-t-il des lavabos, là-haut ? »… Mais cela ne suffit pas à expliquer le succès populaire de l’œuvre, qui s’appuie sur des refrains facilement mémorisables, en même temps que sur une écriture à la fois simple et virtuose, comme au final du deuxième acte, construit comme un finaletto buffo, tel que l’on peut en trouver par exemple dans Le Barbier de Séville de Rossini.
Mais l’œuvre se veut avant tout distrayante, sur une histoire fort simple : Évariste vient d’arriver au Paradis, suivi de son ange gardien Frisotin. Vérifiant le chagrin de sa veuve restée sur terre, il la découvre courtisée par son cousin Martel. Saint Pierre l’autorise à redescendre quelques heures accompagné de Frisotin, pour arranger les choses. Heureusement, il ne s’agissait que d’un rêve ! De fait, chaque production de l’œuvre met en valeur un de ses aspects majeurs : dans ces dernières années, celle de Lyon (Théâtre des Célestins) également présentée à Paris (théâtre des Variétés) en 1997-1998, privilégiait l’aspect music-hall avec notamment des ballets soignés, et un accent mis sur le côté comique et même farfelu. La récente production de la Compagnie Fortunio (voir le compte rendu de Christian Peter) misait essentiellement sur la tradition.
Ce soir, dans sa note d’intention, le metteur en scène Pascal Neyron souligne la contradiction du livret, qui sous un extérieur résolument music-hall, déroule un voyage initiatique à travers une expérience burlesque de mort imminente. Il a de ce fait souhaité « redonner à l’œuvre son caractère universel, en s’appuyant sur la filmographie hollywoodienne des années cinquante ». Que reste-t-il de ce beau programme « novateur » limite prétentieux ? À dire vrai pas grand-chose. Le Paradis se résume à un Saint Pierre en chemise de nuit et à quelques vieux à la Warlikowski – encore que plus sympathiques – traînant malicieusement leur ennui. Et puis un Évariste à la tête de Christ et un Frisotin également emperruqué, alors qu’ils auraient été certainement beaucoup plus drôles au naturel. Bref, est-ce une Première un peu prématurée ? On n’y croit pas vraiment, et tout ce qui se déroule sur scène donne une impression de vaine agitation plutôt que d’une vraie direction d’acteurs. Car il aurait vraiment fallu que les parties chantées puissent s’appuyer sur un vrai jeu théâtral, qui reste ici à tout le moins minimaliste ou signe d’un manque de travail.
Côté musical, l’œuvre est entachée du péché originel, c’est-à-dire qu’il s’agit plus d’une pièce de théâtre interrompue de temps en temps par des morceaux chantés, que d’une véritable œuvre lyrique. Les morceaux sont gais, et l’orchestre dirigé très énergiquement par Nicolas Chesneau possède une vraie vertu entraînante. D’ailleurs, on entendait en sortant plusieurs personnes fredonner des airs, ce qui est le but de l’opération. Et pourtant, la sauce ne paraît pas prendre : sur tout le spectacle, juste un air a été applaudi. Et puis, aucune reprise à la fin du final aux applaudissements. Je me demande si certains spectateurs n’étaient pas venus uniquement pour ce moment très français, mais à entendre les réflexions de dépit, on voit bien qu’ils sont sortis déçus de cette absence. C’est peut-être un détail, mais cela montre un certain décalage entre ce que l’on a vu et les attentes – certainement inconscientes – du public.
Et pourtant l’œuvre est défendue avec pugnacité par toute une brochette d’interprètes de talent. Bien sûr on regrette de ne pas retrouver des chanteurs des productions précédentes – ce qui donnerait vraiment l’effet « troupe » – mais c’est en même temps l’occasion de découvrir d’autres personnalités. Mathieu Dubroca, de sa haute stature, chante un Évariste plus ébahi de ce qui lui arrive que clairement maitre de la situation, d’autant que le Frisotin de Richard Delestre ne lui laisse guère de marge de manœuvre. Le premier a une voix parfaitement adaptée au rôle, bien projetée, le second n’a pas grand-chose à chanter et se contente de faire rire en se situant entre De Funès et Clavier. Jean-Baptiste Dumora a toute l’autorité vocale pour camper un Saint Pierre de haute volée, mais son accoutrement ridicule n’aide guère à l’apprécier. Olivier Podesta est un peu terne en Martel. Restent ces dames, avec les élues, dont on regrette – ce qui est paradoxal – qu’elles aient de grandes voix d’opéra là où l’on attendait des voix plus légères, et Judith Fa en Emma qui pourrait peut-être également alléger un peu la partie vocale. Quant à Clarisse Dalles en Maud, elle est certainement celle qui tire le mieux, à tous points de vue, son épingle du jeu. Mais au total on a l’impression que beaucoup ne paraissent pas adhérer toujours aux partis pris de mise en scène, toutes choses qui pourront s’améliorer au fil de la tournée* ?
*Le 6 mars 2022 à Tourcoing, et du 18 au 31 mars à Paris, Athénée-Louis Jouvet.