Les Tréteaux Lyriques, troupe d’amateurs encadrée sur scène et musicalement par de solides professionnels, a été créée en 1968. Elle propose depuis lors, tous les deux ans, une œuvre d’Offenbach. Installée pour plusieurs semaines sous les ors fanés du théâtre du Gymnase, elle y apporte un vent de jeunesse et de folie qui doit faire tressaillir les mânes de Marie Bell.
Quand une troupe de ce type s’attaque à une œuvre de la difficulté de La Grande Duchesse, il lui faut d’abord – financièrement parlant – se démarquer des superproductions comme celle de Laurent Pelly, qui continue de tourner autour du monde, ou d’autres plus récentes comme celle de Stefano Mazzonis di Pralafera à Liège qui se déroulait dans les cuisines d’un restaurant, ou encore celle plutôt trash de Renaud Doucet à Cologne. Ce soir, le postulat est astucieux : on se trouve dans une chambre d’enfant où un clone de Mary Poppins étale ses états d’âme ; pour la consoler, la petite fille (d’autres soirs c’est un petit garçon, ce qui doit mieux fonctionner, en dehors de toute considération de genre), lui propose de devenir la grande duchesse de ses jouets guerriers. Star Wars ne sera jamais loin, avec le casque noir de Dark Vador pour le général Boum, et le sabre laser pour « le sabre de mon père ». L’armée elle-même est composée de troupes en pyjama armées de parapluies et coiffées de pots de peinture. C’est plutôt drôle et cela passe bien dans la salle.
En revanche, j’ai beaucoup moins aimé les tripatouillages de la partition. Que l’on coupe ici ou là, surtout dans le deuxième acte, passe encore (dommage quand même que « le carillon de ma grand-mère » soit passé à la trappe). Et je suis encore plus réservé sur les citations musicales contemporaines – courtes il est vrai, mais quand même… – qui émaillent la soirée. Celles-ci commencent avant même l’ouverture, sur la musique de la chanson de Mary Poppins « Feed the birds, tuppence a bag ». Les références scéniques étaient-elles si obscures qu’il ait fallu les souligner aussi lourdement ? Bien sûr, Offenbach lui-même adorait pratiquer de telles citations, mais c’était dans le corps de sa composition, et non pas émietté à l’éparpille. Mais tout cela est plus une affaire de puristes, car les spectateurs, dont beaucoup voyaient l’œuvre pour la première fois, en étaient malgré tout ravis.
Thibault Mercier (Fritz) et Françoise Saignes (La Grande Duchesse) © Photo Gilles Plagnol
L’autre difficulté est d’avoir une « vraie » Grande Duchesse, et elle est bien là ce soir grâce à Françoise Saignes, pince sans rire, aguicheuse prise à ses propres pièges, drôle et surtout pas du tout vulgaire, bref une très belle interprétation, à la fois dans l’esprit et dans le ton. Elle a tout à fait la voix du rôle, un mezzo chaud et plein sur toute la tessiture. Connaissant bien ce type de répertoire, qu’elle aime et sert avec humour, elle s’intègre parfaitement dans cette production. A ses côtés, des amateurs de talent défendent fort bien les autres rôles principaux, dont Jean-Philippe Alosi, général Boum sonore au jeu précis, et Thibaud Mercier, Fritz ténorisant très joliment et également très bon acteur.
La mise en scène d’Adrien Jourdain est vive et bien en situation, même si la surface du plateau freine parfois les élans des masses chorales fort bien préparées par Jean Nouvel-Alaux qui, ce soir, a assuré brillamment le doublage vocal du rôle du Prince Paul joué par un acteur (Frédéric Ernst, victime en cette période de grève d’une chute de vélo avec bras cassé, doit reprendre son rôle incessamment). Les décors de Justine Mélisse sont un peu minimalistes, mais les beaux costumes, notamment féminins, de Joyce Besançon animent efficacement l’espace. La direction musicale de Laurent Goossaert, vive et enjouée, privilégie peut-être un peu trop les vents au détriment des cordes nettement moins sonores.
On passe une bonne soirée, on rit souvent, mais on regrette quand même une plus grande rigueur vis-à-vis de l’œuvre d’Offenbach.
Prochaines représentations les 18, 29,30, 31 janvier et 1er et 2 février 2020.