Avec leurs dix mille spectateurs par an, les Soirées Lyriques de Sanxay n’ont pas le droit à l’erreur. Titre réclamé par les habitués, et pourtant bien différent du régime Nabucco-Traviata-Carmen jusque-là en vigueur, La Flûte enchantée comble les espérances en termes de billetterie, le spectacle affichant complet avant même la première de ses trois représentations. Pas question de se tromper non plus en matière de mise en scène : hors de question de proposer une relecture alambiquée, car beaucoup de profanes viennent ici découvrir l’art lyrique en assistant à leur premier opéra. C’est donc, malgré quelques signes superficiels de modernité, une production à l’ancienne que l’on trouvera sur le site du théâtre gallo-romain où le festival fête cette année ses dix-huit années d’existence. Modernes certains des costumes conçus par Sébastien Maria-Clergerie (les baskets à semelles lumineuses des enfants, le look marinière-bermuda que Papageno partage avec eux, ou l’allure de pépette fluo en short ras des fesses de Papagena) ; moderne sans doute aussi la créature sortie de Jurassic Park qui remplace le traditionnel serpent ; d’une modernité déjà plus relative la projection sur le décor d’images de flammes ou d’eau pour des épreuves un peu plates, ou d’un polyèdre creux, symbole de l’initiation. Pour le reste, un spectacle très classique, à une originalité près : comme Stefano Vizioli doit monter La Flûte à Angkor en décembre 2018, il a fait venir une troupe de danseurs cambodgiens qui incarnent tantôt des animaux, tantôt des cavaliers (ou les lions de Sarastro ?). La Reine de la nuit est accompagnée d’une gracieuse troupe d’apsaras, ce qui est charmant mais ne reflète guère le côté menaçant de la mère de Pamina. C’est d’ailleurs là que l’approche choisie par le metteur en scène semble un peu paresseuse, en illustrant sans jamais chercher à expliciter, au détriment de la densité qu’un travail sur le jeu d’acteur pourrait conférer aux personnages. Sarastro n’est qu’un vague potentat arborant une étole où apparaissent (avec un solécisme causé par un T ajouté) ces mots du Requiem « Et lux perpetua luceat eis ». Certes, le livret de Schikaneder possède un caractère populaire et naïf, mais qui n’exclut pas la profondeur que d’autres ont su y souligner.
A l’ancienne, le spectacle l’est aussi musicalement. L’orchestre est composé d’instruments modernes, bien sûr, mais la direction d’Eric Hull opte pour des tempos mesurés et pour une certaine majesté, très loin des révisions que les baroqueux ont pu imposer aux interprétations de Böhm ou de Karajan. Dommage que les cuivres se montrent parfois pesants, non sans quelques couacs, les cordes offrant une prestation plus soignée.
© Francis Mayet
En matière de distribution vocale, on est également loin des modes en vigueur, ce qui présente des avantages et des inconvénients. Aucun germanophone sur le plateau – parmi les adultes, en tout cas, on y reviendra –, mais tous les chanteurs ne sont pas égaux devant la prononciation de l’allemand, certains l’ayant plus exotique que d’autres. Le Tamino de Paolo Fanale séduit avec un air du portrait parfaitement maîtrisé, émis d’une voix claire mais solide qui se projette sans difficulté, et son physique de jeune premier fait le reste. On a perdu l’habitude d’entendre des Pamina pouvant aussi être la comtesse des Noces, voire des rôles plus lourds : en 2015, Tatiana Lisnic était Liù à Sanxay, et campe une héroïne plus assurée, plus vocalement épanouie peut-être que les chanteuses auquel le personnage est désormais souvent confié. Ce qu’on perd en pureté de ligne, on le gagne en ampleur et en vigueur de l’interprétation. On retrouvera bientôt Christina Poulitsi dans La Flûte enchantée à l’Opéra-Comique : est-ce au nom d’une conception à l’ancienne que l’on n’a pas cherché à rendre cette Reine de la nuit plus consistante ? Ses deux airs sont exécutés avec une propreté irréprochable, des aigus d’une netteté enviable, mais la souveraine ne fait que passer sans marquer autrement les esprits. De Sarastro, Luiz-Ottavio Faria a les graves abyssaux, qu’on aurait seulement aimé entendre un peu moins marqués de vibrato. Giogio Caoduro est l’un des triomphateurs de la soirée : sans doute le meilleur comédien de la troupe, il offre aussi un fort beau timbre de baryton à son Papageno bondissant. Parmi les personnages secondaires, on relève quelques noms qui relève du luxe absolu : Elvire et comtesse à Cologne, bientôt Pamina à Toulon, la toujours exquise Andreea Soare n’est ici « que » la Première Dame, tandis que la non moins délicieuse Mélanie Boisvert se contente de Papagena. Balint Szabo mériterait sans doute mieux que les trois petits rôles qu’il cumule ici. Dommage que Rodolphe Briand, en Monostatos, multiplie les décalages avec l’orchestre.
Bien moins sollicité que dans les opéras italiens, le chœur des Soirées Lyriques est toujours aussi admirablement préparé par Stefano Visconti. Mention spéciale pour les trois épatants Enfants qui viennent, une fois n’est pas coutume, non pas de Tolz, mais de Dortmund.