Florise découvre via Facebook que Damon la trompe ; plutôt que de le reconquérir, elle décide de se travestir pour séduire sa rivale. Les coquettes sont donc deux, mais le personnage principal est lui-même double, tout comme l’oeuvre elle-même qui retisse habilement la partition de Dauvergne d’une création contemporaine bicéphale très réussie de Pierre Alferi et Gérard Pesson.
Pierre Alfieri, le librettiste, a retaillé le livret pour y ajouter des apartés des personnages qui commentent l’action tout au long de la soirée et ce, jusqu’à en infléchir le cours. Dauvergne, en effet, n’avait sans doute pas prévu de clore le spectacle par une ode au triolisme, à la bisexualité et au dépassement des genres ! « L’identité n’est qu’un décor, il faut en affranchir nos corps ». Mais cela est fait avec légèreté et humour, sans prosélytisme militant et le public ne boude pas son plaisir.
Le compositeur quant à lui, professeur de composition au CNSM, travaille souvent à partir d’oeuvres préexistantes. Il se coule ici avec aisance dans l’univers musical du milieu du XVIIIe siècle qu’il décale subtilement, jouant de citations en clins d’oeil à Carmen, au jazz ou au rap mais sans aucune lourdeur. L’oreille bascule sans heurt d’un siècle à l’autre, trouvant même un grand plaisir à la manière dont l’instrumentarium baroque est exploité.
© Festival d’Automne
Il faut dire que l’Ensemble Amarillis, sous la double houlette – encore – d’Héloïse Gaillard et Violaine Cochard, fait montre d’un délicieux sens du phrasé, du contraste et d’une quête de couleur pleine d’élégance et de vivacité. Les musiciens ont manifestement plaisir à interpréter ce répertoire inhabituel et exigeant de musique contemporaine. Le plateau vocal est au diapason avec une mention particulière pour Maïlys de Villoutreys dont le timbre est particulièrement séduisant dans les parties contemporaines. Elle nous fait également profiter d’une ligne ductile, d’aigus souples et d’un phrasé élégant qui font merveille. Annette Messager a crée pour sa Clarice, un costume superbe et décalé qui tient du paon et de la danseuse de revue tout à la fois. On y reconnaît la patte de l’artiste plasticienne qui a toujours eu le goût du textile comme du questionnement sur le féminin. Le boa que la coquette porte autour du cou est à prendre au sens propre, ce qui est bien naturel pour un personnage incarnant la tentation !
Face à elle, Isabelle Poulenard est dotée pour ce jeu des doubles d’une voix également légère et aux aigus bien timbrés, mais plus corsée, enrichie de très beaux piani et d’un d’un grand sens de la ligne vocale. Elle incarne une moderne Marie-Madeleine habillée de cheveux très convaincante avant de se glisser dans les oripeaux d’un travesti de fantaisie avec lesquels elle ne semble moins à l’aise scéniquement.
Dans un renversement savoureux des codes de l’opéra – assez courant pour les tenants du théâtre de foire dont Dauvergne est un illustre représentant – Robert Getchell, campe avec conviction un Damon qui n’est pas l’actant mais le prétexte à l’histoire, il n’ouvre d’ailleurs la bouche que dans la seconde partie du spectacle. Le ténor américain dont la voix est un peu métallique, est fort d’une diction remarquable et d’un accent est à peine perceptible.
Ce trio vocal est mis en espace plus que mis en scène par Fanny de Chaillé, ce que l’on peut regretter d’autant plus que les trois malheureuses chaises de bois qui composent la scénographie sont terriblement fades. La large tournée de ce spectacle aurait sans doute pu permettre quelques investissements minimums pour un mobilier décalé et plein d’esprit, à l’image de cette création qu’il est également possible de découvrir au disque.