« Cent-cinquantième anniversaire, acte I » est sous-titrée cette édition d’un Festival auquel Berlioz est tant redevable (et réciproquement). « Prélude » aurait-il été plus approprié dans la mesure où quatre mois nous séparent encore de la commémoration de sa disparition ? Peu importe, le menu de cette année, toujours aussi riche, ouvert à un large répertoire, nous vaut cette Création singulière, déjà donnée à La Seine musicale, à Beaune, New York et Lessay, avant de poursuivre son chemin. Les contrastes évoqués dans le titre sont ceux voulus par Haydn, tel celui de l’éclatant « Und es war Licht », qui n’a rien perdu de sa force, mais aussi la distance entre les intentions affichées et la production écoutée, où le meilleur le dispute parfois au contestable.
Cette réalisation réunit 36 choristes d’Accentus, et la cinquantaine d’instrumentistes d’ Insula orchestra. On est très loin des effectifs exigés par Haydn de son vivant, quatre fois plus nombreux. Mais là n’est pas l’essentiel, d’autant que le chœur est sonore. Laurence Equilbey, à son habitude, joue avec les accents, les rythmes, elle accuse les oppositions, les contrastes, il lui faut même modérer les ardeurs du timbalier à plusieurs reprises. Si certains modelés et phrasés sont aboutis, elle ne parvient pas pour autant à créer la variété de climats qui fonde l’ouvrage. L’énergie, la vigueur sont bien les constantes de son approche. Le corollaire en est l’oubli de la dimension poétique, comme de la grandeur, de la noblesse et de l’émerveillement. A bien des égards, sa direction ne manque pas de surprendre. Les mouvements adoptés dérangent parfois, comme certaines libertés prises avec le texte. Ainsi, l’air de Raphaël « Nun scheint in vollem Glanze der Himmel », maestoso, le duo qui réunit Adam et Eve (« Von deiner Güt’ »), indiqué adagio, puis allegretto, sont-ils pris dans des tempi qui en dénaturent quelque peu le sens. Le chœur final, andante, n’a certainement jamais été conduit à un tel train d’enfer : on frémit, puis on salue l’exploit technique des solistes, de la soprano particulièrement, qui parviennent à chanter leurs vocalises sur « Amen » sans savonner ni faiblir. C’est spectaculaire en diable, mais où est l’esprit ? Certaines nuances sont écrasées. Trop souvent, la narration est dépourvue de ce caractère dramatique et grandiose qu’appelle le livret. Par contre, le piano-forte fait notre délice : libre et inspiré, il improvise des transitions bienvenues pour introduire les récitatifs, c’est chaque fois un plaisir renouvelé.
© Bruno Moussier
Les solistes sont fort inégaux : Martin Mitterrutzner, accompagne Laurence Equilbey régulièrement dans le rôle d’Uriel. Son chant laisse perplexe : timbre peu gratifiant, des aigus clairs, lorsqu’ils ne sont pas forcés, le registre grave manquant par trop d’assise. On imagine mal comment il peut chanter Tamino. Rafael Fingerlos n’a de Raphaël que le prénom, un baryton honnête auquel les graves font cruellement défaut. Chiara Skerath, Gabriel, puis Eve, nous réserve les meilleurs moments. La voix est claire, sonore, agile et corsée. Dès son premier air « Mit Stuner sieht das Wunderwerk », son aisance et son bonheur de chanter sont manifestes, le contre-ut est lumineux. Toujours le texte est intelligible, parfaitement articulé. Les récitatifs sont souples. La pastorale « Nun beut die Flur », ornée avec discrétion, serait idéale si les deux clarinettes avaient des qualités équivalentes à celles du chant. Dans les ensembles, celui-ci permet d’oublier les déficiences des deux hommes.
Le chœur se montre généralement à la hauteur des attentes, réactif, clair, précis, avec une lisibilité constante. Cependant, on est en droit d’exiger d’un chœur professionnel, supposé familier de l’ouvrage, de lever le nez de la partition. Seul le pupitre de sopranos a cette liberté qui lui permet une émission souveraine. Les alti sont faibles, et toute l’attention est requise pour les percevoir, sauf dans les passages fugués. L’orchestre « historiquement informé » se montre par trop imprécis dans certaines attaques. Les bois sont ternes, aux couleurs fades, alors que les instruments anciens ne valent que par leur timbre. L’articulation, à moins que ce ne soit l’acoustique du lieu, paraît pâteuse. On en serait à leur préférer des modernes.
Etrangement, le public n’avait pas applaudi à la fin de la première partie. Méconnaissance de l’ouvrage, ou satisfaction mitigée ? Les nombreux rappels de la fin lui valent la reprise du choeur jubilatoire. Oublions.