Pierre-Emmanuel Rousseau a le goût des années trente à cinquante. C’est déjà dans l’Algérie de l’après-guerre qu’il avait choisi de transposer son Comte Ory à Rennes la saison dernière. Loin de nous l’idée de nous en plaindre puisque l’esthétique de cette époque est des plus séduisantes. Alors que pour Rossini la couleur était de mise, c’est ce soir le noir et blanc qui s’impose avec une folle élégance. Le Capitole resplendit de marbres précieux et de néo-classicisme triomphant au premier acte pour n’être plus ensuite que décombres ensevelis sous les cendres. Comme à son habitude, l’artiste multi-casquettes signe mise en scène, décors, costumes et lumières.
Certes, on aurait apprécié quelques trouvailles scéniques plus originales : la couronne qui fait soudain horreur à Vitellia et qu’elle jette au sol, le chemin de lumière qui s’ouvre sous ses pas lorsqu’elle est touchée par le remord, la maquette d’un bâtiment calciné que Titus couve avec tendresse à deux reprises (une de trop), ne révolutionnent guère le genre. L’installation d’un banquet alors que le palais brûle est même assez incongrue, mais la plastique impeccable de l’ensemble et la belle direction d’acteur emportent l’adhésion. La plus grande audace réside probablement dans le final : Leopold II, le roi de Bohème qui avait commandé l’œuvre à l’occasion de son couronnement, aurait sans doute peu apprécié de voir l’empreur abattu aux dernières mesures! Par ce choix, Pierre-Emmanuel Rousseau respecte pourtant la volonté affichée de Titus qui clôt la représentation appelant à ce qu’on l’abatte si il comment la faute de faire prévaloir d’autres intérêts à ceux de Rome. Par sa clémence, il choisit précisément d’être moins monarque qu’homme. Or, « un roi faible est un roi qu’on élimine » souligne le metteur en scène dans le programme de salle.
La part sombre de l’œuvre, c’est Roberta Mameli qui campe une Vitellia époustouflante de sensualité vénéneuse. Sous la plastique hollywoodienne de cette incandescente Marilyn, le timbre est charnu, rayonnant, la voix longue – comme l’exige une partition que l’on sait éminemment exigeante -. La voix de poitrine s’avère aussi puissante que les médiums sont ronds. Seuls quelques aigus pâtissent d’être inutilement poussés et durcis rompant avec une ligne vocale toute en fluidité. Baroqueuse, la soprano n’hésite pas à utiliser quelques sons droits – presque trop bas – , renonçant à la séduction du timbre par souci d’expressivité.
Son ambition, qualité traditionnellement masculine, est finement soulignée par l’asymétrie de ses tenues, relevant en partie de la veste de costume. Cette dissymétrie souligne également un manque d’équilibre psychologique qui éclate brillamment à la fin de l’œuvre : Quelle formidable comédienne ! Que de nuances tout au long de la soirée pour donner chair et crédibilité à cette humiliée détruite par les remords.
José Maria Lo Monaco n’est pas en reste dans l’implication émotionnelle et scénique, proposant un Sesto de haute tenue, remarquablement émouvant. Le travail des nuances, notamment de superbes mezza-voce enrichissent encore sa proposition. On déplorera toutefois des aigus qui cassent à plusieurs reprises et un timbre un peu engorgé.
Dans ce drame de l’amitié – une valeur si prégnante pour Mozart, dont les dernières forces iront vers la cantate der Lob der Freundschaft -, Jeremy Ovenden incarne avec conviction l’ami trahi et qui pardonne, Titus. Familier du rôle, Il donne une saisissante épaisseur psychologique à ce personnage menacé par l’archétype. Si le vibrato est un peu rapide, la lumière du timbre est superbement équilibré par la couverture et l’ancrage des aigus.
Le propos de la Clémence de Titus est également celui de l’amour dans toutes ses occurrences. Complétant le tableau des possibles amoureux, l’Annio d’Abigail Levis et la Servilia d’Olivia Doray partagent quant à eux, une troublante proximité vocale – timbres clairs, aigus souples et ductiles – créant un troublant effet de miroir dans leurs duos. Cette gémellité sonore rend cruelle leur séparation et impose l’évidence de leur couple. La jeune mezzo américaine campe un travesti très touchant tandis que la soprano est malheureusement desservie par une partition moins riche et un costume presque hors-sujet par rapport au reste de la distribution.
L’ensemble du plateau vocal profite de la direction aussi passionnée qu’attentive de Nicolas Krüger qui choisit des tempi enlevés mobilisant la belle énergie de l’Orchestre symphonique de Bretagne et du chœur Mélisme(s). La justesse parfois discutable des cordes est heureusement contrebalancée par un formidable pupitre de vents sensuel et délicat. Le chef cisèle avec raffinement une écriture mozartienne dont il est spécialiste, secondé avec brio par Elisa Bellanger en charge du continuo.