Face aux œuvres du répertoire, l’actualisation par le biais de la réécriture du livret peut être une option défendable, comme le prouve en ce moment la Chauve-souris donnée à Paris Salle Favart. Elle n’est évidemment pas la seule, et on peut légitimement aspirer à voir une Fledermaus située à l’époque de sa composition, quitte à ce que le texte inclue néanmoins quelques références humoristiques à notre époque, comme c’est devenu la règle. Pour le spectacle coproduit par les opéras de Reims, de Tours et d’Avignon, créé à Reims le 13 décembre, on a fait appel à un habitué du genre : Jacques Duparc a monté quantité d’œuvres relevant de l’opérette ou de la comédie musicale, mais si cette expérience garantit une connaissance des ficelles du métier, elle n’exclut malheureusement pas une certaine lourdeur. Si sa prestation en Frosch est tout à fait réussie, on est nettement moins emballé par sa mise en scène. Les premières minutes flirtent avec le mauvais goût (un pot de chambre qu’on vide sur la tête d’Alfred en coulisses et que le même Alfred songe à utiliser de la même manière pour ranimer Rosalinde), le jeu d’acteur est appuyé et caricatural, les gags surgissent à des moments où l’on s’en passerait bien, on multiplie à plaisir les apparitions de messieurs en caleçon et fixe-chaussettes. En dehors des interventions de deux talentueux danseurs, les « chorégraphies » imposées aux solistes et au choeur oscillent entre une modernité un peu déplacée (ces mêmes messieurs s’empoignent vigoureusement l’entrejambe) et une gestuelle digne du Châtelet des années 1960-70. Bref, malgré un décor astucieux, avec renards empaillés fixés aux murs et grand faux Manet mélangeant Le Déjeuner sur l’herbe et La Musique aux Tuileries, et malgré de jolis costumes, cette Chauve-souris ne fait pas dans la dentelle, et les chiroptères volent bas.
C’est dommage, car la distribution, elle, est plutôt de haute volée, surtout dans son versant féminin. Rosalinde est un rôle assez ingrat, dont l’unique air en solo exige de très grandes qualités vocales. Autrement dit, la meilleure solution est de trouver une diva prête à s’amuser sans vouloir briller à tout prix. Mireille Delunsch joue parfaitement le jeu : après avoir été la très ridicule Monique Pons dans Quai Ouest à Strasbourg, elle se plie à l’exercice que lui impose la mise en scène, campant en l’occurrence une sorte de mémère assez peu affriolante au premier acte, qui se métamorphose en séductrice hongroise au deuxième. La chanteuse est en pleine forme, même si la note ultime de la Czardas est un peu escamotée. Malgré tout, dans le chef-d’œuvre de Strauss, c’est incontestablement Adele qui occupe le premier plan, grâce aux airs exquis que lui réserve la partition, et Tours avait la chance de pouvoir compter sur une Vannina Santoni qui pourrait d’abord sembler surdimensionnée pour le rôle. En effet, loin d’être abonnée à Olympia ou Lakmé comme les soubrettes auxquelles on confie d’ordinaire le personnage, cette jeune soprano française était récemment Fiordiligi sur cette même scène et, après avoir été Micaëla et Leïla la saison dernière, elle abordera Juliette en 2015. En d’autres termes, cette Adele-là est virtuose, mais pas seulement, et la voix a déjà une belle épaisseur qui la destine naturellement à l’opéra-comique français. Troisième pilier de cette distribution : Aude Extrémo, dont le somptueux timbre grave est un régal en soi, et que l’on a hâte d’entendre dans L’Heure espagnole ou dans L’Italienne à Alger qu’elle prépare pour cette saison. Luxe, enfin, que de distribuer en Ida, uniquement audible dans des ensembles, Béatrice Dupuy qui fut une mémorable Secrétaire dans Le Consul de Menotti à Herblay l’an dernier et à Paris cette saison.
© François Berthon
Côté masculin, Didier Henry est un Eisenstein qui ne peut dissimuler le passage des ans : le grave est peu sonore et l’aigu est tendu, et l’abattage scénique ne compense pas tout (aussi, pour quoi a-t-on pris l’habitude de confier à des barytons ce rôle écrit pour un ténor ?). La fatigue vocale du personnage principal est d’autant plus nette qu’il a pour partenaire un tout jeune Falk, Michal Partyka, encore membre de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris il y a peu. Si le choix d’une version avec airs en allemand et dialogue en français oblige à imaginer un Falk venu tout droit de Pologne, ce chanteur a pour lui un brio remarquable et une aisance que ne peuvent entamer les petits pas de danse stéréotypés qu’on lui impose pour son air. Eric Huchet est un Alfred particulièrement éloquent et Frédéric Goncalves a toute l’autorité que l’on attend du directeur de la prison. Les chœurs de l’Opéra de Tours assurent avec vaillance le rôle important que Strauss leur confie au deuxième acte, et l’orchestre, dirigé sans alanguissement superflu par Jean-Yves Ossonce, donne de belles couleurs boisées à la célébrissime ouverture. En ce soir de première, le public enthousiaste en redemandait et n’a laissé le rideau retomber définitivement qu’après avoir obtenu des artistes qu’ils bissent trois ou quatre fois le chœur final.