La Cenerentola de Rossini semble être un art du mélange : un marivaudage digne du Jeu de l’Amour et du hasard (avec lequel il partage de nombreux points communs), un coup de foudre digne des plus belles comédies romantiques et la pure farce s’y mêlent en un alliage, il faut le dire, assez irrésistible.
Mais cette Cenerentola est aussi ce qu’on pourrait appeler un opéra d’apprentissage. Comme chez Marivaux, les protagonistes doivent passer l’épreuve du sentiment amoureux : sa manifestation inattendue, ses doutes, ses obstacles, et enfin son triomphe, secondé par la raison. C’est au terme de ce cheminement, qui prend chez Rossini la forme d’une virtuosité vocale croissante, que l’union tant attendue devient possible.
Diriger cet ouvrage relève donc de l’exercice d’équilibriste, et Enrique Mazzola se révèle bon acrobate : ne cédant jamais à la tentation du fortissimo ou d’effets farcesques trop attendus, il préfère la lisibilité des pupitres, permise par des musiciens de qualité – piccolo, cor et violoncelle en tête. On apprécie la recherche de la beauté du son plutôt que des décibels (notamment dans la scène de l’orage, qui échappe à tout débordement romantique ! ), là où l’écriture rossinienne contient déjà l’humour et la tendresse nécessaires,
La bonne surprise fut d’assister à une version semi-scénique de l’ouvrage ; la mise en scène, bien que gaguesque, n’oubliait pas l’émotion et permettait à chacun de donner à son personnage un corps, et non seulement une voix. Elle intégrait également l’orchestre, qui devenait un acteur à part entière de l’intrigue : les apartés adressés au chef, le claveciniste essuyant la colère de Don Magnifico ou le Prince caché parmi les contrebassistes étaient autant d’éléments comiques qui tiraient parti des contraintes de la version de concert.
Quant aux solistes, on ne sait par lequel commencer tant la distribution était homogène scéniquement. On ne saurait trop louer le jeu d’acteur précis, intelligent et sans baisse de régime de l’ensemble des chanteurs. Hasmik Torosyan (Clorinda) et Alix le Saux (Tisbe) jouent les méchantes sœurs avec humour et sans lourdeur ; leurs timbres ronds, bien assortis, et une belle projection leur offrent une place de choix dans les ensembles. L’Alidoro de Luigi De Donato montrait quelques fragilités dans son air (« Il mondo è un gran teatro »), mais avait l’autorité et la bienveillance de rigueur pour incarner le philosophe.
Peter Kálmán trouve dans le personnage de Don Magnifico un rôle à sa mesure, lui permettant d’exploiter ses talents tant scéniques que vocaux. La tessiture tendue de la partition semble ne lui poser aucune difficulté, la voix étant toujours aussi pleine, projetée, éclatante. Plus encore, elle devient un outil comique privilégié, notamment avec l’usage de la voix de tête, provoquant inévitablement le rire du public.
Vito Priante en Dandini et faux prince, baskets aux pieds, séduit par le naturel de son jeu et de son chant. Les vocalises ne sont jamais démonstration vocale mais ont une valeur expressive : une qualité possible à condition seulement de maîtriser les difficultés de la partition.
Reste le couple de la soirée : la Cenerentola n’a plus de secrets pour Karine Deshayes (ainsi que nous le rappelait une brève il y a peu). Si le bas medium n’est pas très sonore, la voix se déploie dans l’aigu (bien que parfois un peu subitement) et traverse avec brio l’air final, morceau de bravoure s’il en est pour une mezzo rossinienne. Sa Cendrillon est d’une naïveté touchante ; peu de gestes, seulement des regards… Mais quels regards, où toute la tendresse du personnage s’exprime !
Elle trouve sans aucun doute en Cyrille Dubois un Don Ramiro idéal : le ténor incarne un prince touchant, drôle avec délicatesse, et téméraire, d’une voix toujours pleine et rayonnante. Le très virtuose « Si ritrovarla io giuro » ne semble pas l’effrayer : au contraire, les ornements qu’il lui ajoute le feraient passer pour trop aisé…
Tous les éléments étaient donc rassemblés pour un conte de fée musical. La Cenerentola est certes sous-titrée « le triomphe de la bonté » ; mais Rossini aurait pu la nommer « le triomphe de la beauté ».