L’époque covidesque pousse les Opéras du monde à trouver toute sorte de parades. Pour La Bohème qu’il met à l’affiche de cette rentrée, l’Opéra Royal de Wallonie est allé chercher dans les tiroirs de Ricordi l’édition de Gerardo Colella déposée pour les petites structures. Ce qui participe de la diffusion et du maillage culturel du territoire en temps normal, permet aujourd’hui de respecter les protocoles sanitaires et voici nos musiciens de l’orchestre aisément et physiquement distancés dans la fosse : une petite trentaine ou lieu des 70 normalement requis. Qu’importe les vents qui sonnent bien diaphanes dans les transitions orchestrales ou au contraire trop appuyés quand il faut soutenir un chanteur alors que le tapis de violons ressemble plus à un voilage. Si le souffle puccinien manque parfois d’ampleur il possède toute sa structure que Frédéric Chaslin souligne sans trop forcer le trait, au diapason de son plateau dans les nuances et les ruptures de tempo.
Sur scène, c’est l’illusion parfaite. Certes la mise en scène de Stefano Mazzonis di Pralafera a concédé quelques menues adaptations pour éviter les concentrations de foules. On devine que les chœurs, cachés derrière leur tulle en trompe-l’œil de façade parisienne, ont espacé leurs membres. Vocalement il n’y parait rien tant ils sont unis et chaleureux. Simplement, le deuxième acte parait bien sage et peu foisonnant alors que toute le parti pris est celui d’une illustration fidèle à un Paris rêvé de la première moitié du XXe siècle. En somme ce n’est pas la taille, les effectifs qui comptent mais l’addition de tous les ingrédients qui font le théâtre lyrique et qui font naitre l’émotion.
Pour les chanteurs, ces conditions de reprise semblent idéales : un orchestre au volume maitrisé, une mise en scène lisible et qui les place idéalement pour placer et projeter leur chant. Ugo Guagliardo (Colline) et Kamil Ben Hsaïn Lachiri (Schaunart) installent sans mal deux personnages colorés, très présents dans les scènes de groupes du deuxième acte. Maria Rey-Joly incarne rien que dans la démarche tout le fantasque d’une Musetta échappée d’un cabaret. Les vocalises, les aigus viennent surpiquer cette très bonne performance. Un peu cueilli à froid en première partie, Ionut Pascu (Marcello) retrouve justesse interprétative et à-propos scénique dans les scènes de la Barrière d’Enfer et de l’agonie dans la sous-pente. Stefan Pop offre pour ses débuts liégois un Rodolfo à l’émission franche assis sur une ligne soignée qui fait oublier les quelques tensions qu’il concède dans le haut de la tessiture. Chant élégant donc et tout autant vécu, propre à susciter l’émotion en miroir de sa Mimi du soir. Angela Gheorghiu retrouve la cousette qui l’accompagne depuis des décennies et elle déploie les charmes qu’on lui connait : douceur du timbre, moire des couleurs. A l’exception peut-être d’un souffle moins généreux qu’il ne fut, rien ne semble avoir d’emprise sur cette voix.