Jasmine Toccata par le trio Dunford-Rondeau-Chemirani ou King Arthur par La Fenice et Vox Luminis ? Les deux concerts figuraient simultanément à l’affiche du Festival d’Ambronay, le 19 septembre : un vrai dilemme pour les mélomanes à la fois animés par le goût de l’aventure et par le désir de retrouver un inépuisable chef-d’œuvre. A notre estime, Purcell s’est avéré une mauvaise pioche, alors que la rencontre entre percussions orientales et instruments baroques devait susciter l’enthousiasme unanime des auditeurs croisés dans la foulée. A l’applaudimètre, cependant, Jean Tubéry et ses complices remportent un franc succès, encore qu’il soit impossible de savoir dans quelle mesure le public ne manifeste pas aussi, sinon d’abord son admiration (renouvelée) pour le compositeur. Précis, fluide, enlevé, mais également sec et trop léché, ce King Arthur manque de saveurs et souvent de poésie comme de mystère, les interprètes peinant à embrasser la diversité de ses climats. Contrairement aux forces vives et très disciplinées de la Fenice, les chantres de Vox Luminis se montrent inégaux dans leurs interventions solistes. Seuls Robert Buckland (British Warrior) et Sebastian Myrus (Cold Genius) tirent véritablement leur épingle du jeu, à l’instar de Victor Sicard (Grimbald), qui ne cesse de se bonifier depuis le Jardin des Voix. Notons que la Cold Song, souvent empesée à l’excès, retrouve ici une belle vigueur, dans un tempo presque trop allègre. Par contre, de manière incompréhensible, Vénus se dédouble au milieu de Fairest Isle…
Mais lorsque les ensembles bien établis déçoivent, il arrive que les jeunes talents nous ragaillardissent, et sans doute à Ambronay plus qu’ailleurs, qui les soutient activement et les invite régulièrement. En fin de soirée, le chœur de l’abbatiale accueille Les Surprises dans un programme tout en clairs-obscurs (Mysterien Kantaten) où l’éloquente virtuosité de Marie Rouquié (sonate du Rosaire de Biber) et d’enivrantes transcriptions (passacaille de Buxtehude, chaconne de Pachelbel), réalisées par Louis-Noël Bestion de Camboulas, organiste et directeur de l’ensemble, ménagent de riches contrastes avec le De Profundis de Nicolaus Bruhns confié à Etienne Bazola et le sublime Klag-Lied de Buxtehude dont Maïlys de Villoutreys exalte le dolorisme lancinant. L’Ensemble Les Surprises, qui a vu le jour en 2010, cultive l’éclectisme et assurait à Ambronay la création d’une œuvre contemporaine : Aberrations chromatiques de Friedemann Brennecke (né en 1988), hommage au procédé de la basse obstinée et recherche sur le timbre des instruments anciens. Est-ce un clin d’œil au concert donné la veille par La Cappella Mediterranea ? Etienne Bazola et Maïlys de Villoutreys se retrouvent, le temps d’un bis, dans une page de Barbara Strozzi ruisselante de sensualité mais trop brève, arrangée par Louis-Noël Bestion de Camboulas.
Enfin, comment ne pas évoquer Contar, Cantar, le concert, à nul autre pareil, donné dans l’après-midi, Salle Monteverdi, par l’Ensemble La Seconda Prat !ca ? Fondé en 2012, cette formation réunit des musiciens fraîchement diplômés des Conservatoires de La Haye et d’Amsterdam qui explorent de nouvelles formes de concerts et de nouvelles possibilités d’interprétations. Invités l’année dernière et en résidence à Ambronay dans le cadre du projet de l’Union Européenne eeemerging 2015 (European Emerging Ensembles), ils jettent, pour cette 36e édition du Festival, une passerelle entre la musique folklorique des régions rurales du Portugal et les Cancioneros ibériques de la Renaissance tardive. Si la mise en scène, expérimentale, qui articule plusieurs tableaux vivants inspirés du quotidien d’un village imaginaire nous laisse perplexe, en revanche, la performance musicale nous prend littéralement aux tripes et à la gorge. Soudés comme les doigts de la main, ces dix instrumentistes et chanteurs sont habités par une énergie, une force de conviction hors du commun qui semble avoir quelque chose de mystique. S’il ne fallait citer qu’un nom – mais tous mériteraient de l’être –, mentionnons celui de Sophia Patsi, mezzo au timbre très personnel, enveloppant et d’une expressivité rare.