Une première partie intégralement consacrée à Sibelius ; après l’entracte, un enjambement faisant succéder Chostakovitch à Beethoven. Le concert programmé ce soir par Radio-France dans le cadre de son week-end Sur les rivages de la Baltique misait sur la versatilité des territoires comme des époques.
Né en Finlande, où il reçut l’enseignement de Jorma Panula, maître de Salonen, Oramo, Vänskä et Sarasaste, précocement invité à diriger un vaste répertoire à la tête de la plupart des grandes formations européennes, Mikko Franck a le parcours qu’il faut pour aider son orchestre à traverser ces différents paysages. Le Philharmonique de Radio-France s’ébroue méthodiquement dans le sentencieux Tapiola qui ouvre le programme : le balancier lancinant et austère des rythmes, les teintes pastel des cordes, les sonorités plaintives de l’harmonie grondent, vingt minutes durant, comme le lointain écho d’un tonnerre qui ne se résout pas à faire exploser l’orage. Pour les éclats, il faut attendre la toute fin du concert, et l’étrange 1ère Symphonie de Chostakovitch. De ce patchwork d’atmosphères, parfois lyriques, souvent ironiques, grandioses à l’occasion, Mikko Franck organise une implacable marche au supplice d’où ressortent de formidables cuivres.
Mais beaucoup de spectateurs ce soir s’étaient déplacés pour entendre Karita Mattila dans un répertoire qu’elle a si souvent fréquenté qu’elle y évolue aujourd’hui avec une liberté inestimable. Qu’importe que Sibelius ait voulu Luonnotar hiératique et désincarné, lui refusant jusqu’au titre de « Mélodie » pour en faire un poème symphonique où la voix n’est qu’un instrument parmi d’autres ; Mattila en fait résolument une scène dramatique dont les sauts de registre regardent du côté de la Seconde Ecole de Vienne et dont la narration permet des interprétations d’une remarquable mobilité. Qu’importe aussi que la voix ait perdu un peu de ses couleurs ; encore unique, le timbre ne se dérobe pas même dans des aigus toujours foudroyants dès qu’ils sont lancés fortissimo. « Ah ! Perfido », sa redoutable tessiture, ses grands écarts vocaux et expressifs, démontrent qu’à cet égard, l’usure relative de l’instrument n’a pas entamé la parfaite solidité d’une technique disciplinée au contact du Lied et des grands rôles mozartiens, et que d’un siècle à l’autre, comme depuis différentes rives de la Baltique, un certain art du chant vieillit sans prendre de rides…