Pour le premier d’une série de concerts qui vont faire d’octobre un mois dédié à la musique baroque l’Opéra-Comédie n’a pas fait le plein, malgré la présence à l’affiche de Christophe Rousset et de ses Talens Lyriques. Le claveciniste devenu chef d’orchestre proposait un programme composé autour du personnage biblique de Judith, qui sauva la ville de Béthulie en séduisant pour mieux le décapiter l’Assyrien Holopherne. Si l’oratorio consacré par Vivaldi en 1716 à cet épisode de l’Histoire Sainte se nomme Juditha Triumphans, les autres extraits proviennent d’œuvres intitulées La Betulia liberata, dont la composition s’échelonne de 1743 (Jommelli) à 1782 (Cimarosa) qui ont, excepté pour Cimarosa, le même livret de Metastasio. Cela permet d’introduire dans le concert un air dévolu au guerrier Achior, qu’Holopherne considère comme un traître, dans la version de Pasquale Anfossi (1781) et dans celle de Florian Gassmann – l’auteur du désopilant L’opera seria – de 1772. Qu’on les appelle, comme Vivaldi, oratorio militaire sacré ou comme ses confrères action sacrée, l’inspiration reste religieuse et l’exécution a pour cadre des édifices consacrés au culte même si, comme le rappelle Sabine Radermacher dans son introduction au concert, la portée est souvent politique.
Il s’en suit que l’expression vocale doit conserver, même dans les passages où le désarroi des sentiments domine, tenue et noblesse. Même l’air d’Holopherne de Vivaldi, une concession à la galanterie puisque le guerrier assyrien prétend séduire la belle Juive venue ce placer sous sa protection, n’en est pas dépourvu. Même l’air de « tempête » par lequel Juditha exprime son agitation (« Agitata infido flatu ») y accède dans sa section lente où elle évoque la sérénité de qui retrouve son nid. Il ne peut en être autrement pour les deux airs d’Ozias de Jommelli, où il réaffirme les fondements de la foi et le réconfort vital qu’elle constitue, ce dernier (« Prigionier che fa ritorno ») évoquant irrésistiblement et mystérieusement un largo haendélien bien connu. Il en est de même pour celui de Cimarosa, où Elie exhorte les habitants de Béthulie à réaffirmer leur confiance en Dieu au milieu du danger, car Il leur donnera la victoire. A fortiori pour la déclaration d’Achior, qu’elle soit signée Pasquale Anfossi ou Florian Gassmann, puisqu’il y exprime son adoration pour le Tout-Puissant. Et évidemment pour le « Parto inerme e non pavento » de Mozart où Giuditta sur les mots de Metastase paraphrase un psaume qui exalte la confiance du croyant dans la protection divine. Seul l’air d’Achior où il dépeint le terrible Holopherne échappe à ce climat, la volubilité étant le moyen d’affirmer de façon irréfutable la monstruosité de cet ennemi de Dieu.
Delphine Galou prête son élégance habituelle à tous ces personnages ; le timbre est aussi séduisant que dans nos souvenirs, mais la projection et la virtuosité, appréciées naguère à Lausanne, semblent en léger retrait, impressions qu’un changement de siège et d’étage ne font pas disparaître. Même si ces airs dérivent d’œuvres sacrées, leur interprétation comme des airs de concert n’autorise-t-elle pas, ne demande-t-elle pas un traitement plus opératique, des accents plus marqués ? En fait, c’est dans les bis (« Vorrei vendicarmi », d’Alcina, « Prigionier che fà ritorno » dans la version de Mozart et surtout la reprise du « Terribile d’aspetto » de Cafaro) que Delphine Galou sortira enfin de son quant à soi, le dernier air ayant plus de mordant cruel que sa première mouture.
Les Talens Lyriques sont l’écrin de la soliste ; au-delà de l’accompagnement expressif dont Christophe Rousset est un maître les musiciens servent avec un soin mêlé de gourmandise les ouvertures de La Betulia liberata de Jommelli et de Cimarosa avant de faire sonner très enlevée la Symphonie en ut majeur de Carl Philipp Emmanuel Bach, aux accents pré-mozartiens. Aux saluts Christophe Rousset dira sa joie d’être de retour à Montpellier. La chaleur des auditeurs présents lui aura montré que son sentiment était partagé.