L’éclectisme est bien le maître mot ce soir à La Philharmonie : mariant l’italien, le français, l’allemand et l’espagnol, Juan Diego Florez nous fait parcourir des contrées variées qu’il a, pour certaines (comme les airs de Lehár ou les Verdi de jeunesse), peu fréquentées sur scène.
Le programme est d’ailleurs roboratif : la durée du concert annoncée de 1h50 avec entracte dans la programme flirte plutôt avec les 2h40, avec peu d’interludes orchestraux, et pas moins de sept bis. Voilà ce qu’on appelle de la générosité !
Le ténor péruvien consacre la première partie à Verdi. Le duc (Rigoletto) qu’il a interprété dès 2008 (à Dresde), dans lequel il peut faire montre de son bagage belcantiste intact, lui convient parfaitement. Le chant est nuancé, riche de demi teintes, les aigus sont aisés, sans dureté, et l’acoustique légèrement nimbée de la Philharmonie flatte le timbre lumineux : ce duc de Mantoue est définitivement charmeur.
Cette élégance de la ligne trouve également parfaitement à s’exprimer dans l’extrait d’I Lombardi alla Prima Crociata (« La mia letizia infondere »), mais trouve ses limites dès que le chant demande davantage de muscle : la scène d’I due Foscari met en particulier en relief un manque de largeur, de slancio, que le chanteur ne peut compenser malgré sa science des dynamiques. De même, la cabalette « Oh mio rimorso » extraite de la Traviata pourrait faire naître davantage d’abîmes.
Après l’entracte, Lehár ne nous convainc pas totalement : le medium ne s’épanouit pas ici suffisamment malgré un sens évident de la nuance. Les éclats de Giuditta manquent d’impact quand le « Dein ist mein ganzes Herz », en manque de guimauve, serait presque trop sain.
Le court interlude français, avec Werther et Don José, nous rappelle les grandes affinités de Juan Diego Florez avec la langue et le répertoire français : la diction est d’une limpidité parfaite, la gestion des registres exemplaire et Werther est habité d’une fièvre communicative. Quant à Don José, on en a connu de plus mâles mais rarement d’aussi bien chantants. On regrette que le programme ne fasse pas la part plus belle à ce répertoire !
Le charme, la douceur de timbre du ténor s’épanouissent ensuite davantage dans les chansons sud-américaines données en bis, que le chanteur interprète s’accompagnant lui-même à la guitare, que dans Puccini (avec certes un « Che gelida manina » doux et intense) où le ténor doit s’inventer un chant en force : mezza voce caressante, aigus de tête interminables, œillades ; cela pourrait être « too much », mais le chanteur y montre une telle affinité et y distille un tel charme, que l’on ne peut pas résister !
L’orchestre Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz s’avère un accompagnateur de choix. Les musiciens brillent par une belle homogénéité du son et une certaine virtuosité (même si les tempi vifs de l’ouverture d’Un Giorno di regno poussent les cordes dans leurs retranchements). Le chef Jader Bignamini est chef résident de l’Orchestra Sinfonica Giuseppe Verdi de Milan. Cela s’entend à la belle architecture de l’ouverture de Nabucco ou dans les relances de discours incessantes (en particulier dans la cavatine d’I due Foscari). On regrettera simplement que les nuances orchestrales naviguent trop souvent entre le mezzo forte et fortissimo, au détriment des crescendi (dans l’ouverture de Nabucco ou la Marche hongroise extraite de La Damnation de Faust) ou des clairs obscurs du prélude La cavalleria rusticana.