De passage à Baden-Baden pour la tournée qui accompagne la sortie de son nouveau disque, Drama Queens, Joyce DiDonato a proposé une somptueuse soirée au public allemand avec un solide programme de près de deux heures. Les airs choisis, dont quelques raretés, permettent à la diva d’exprimer une palette de sentiments des plus étendue, de la jalousie à la fureur en passant par la séduction ou l’inquiétude face à la mort, offrant un équilibre en même temps qu’une diversité propres à contenter un large public. Toute la flamboyance du monde baroque y participe.
C’est d’abord la robe créée par Dame Vivienne Westwood qui éblouit ; d’une nuance de rouge très recherchée, entre modernité high-tech et influence chinoise, la robe est un élégantissime fourreau drapé, à la tournure vaguement déstructurée pour rompre une ligne impeccablement classique, soulignant une taille de guêpe digne d’une Audrey Hepburn. Le port de tête, la tenue et le sourire de star toujours parfait (y compris lors des moments les plus virtuoses) achèvent de poser le personnage : la chanteuse est visiblement une reine, à tous points de vue ! De plus, les cheveux sont sagement rassemblés en choucroute, ou plutôt en tiare blonde qui évoque une souveraine assyrienne ou encore une Nefertiti. Quant aux gestes, ils sont évidemment sous contrôle et distingués, évoluant tout de même entre mécanisme et fantaisie. Au fil du récital, la robe se transforme et fait subtilement écho aux tonalités des arias (entre la pétale de rose et la flamme ardente). Sa perfection est un solide contrepoint au travail de la mezzo. Il ne faut pas oublier que la royauté passe aussi par le costume.
Joyce DiDonato a souverainement conquis le public en alternant airs de fureur – toujours empreinte de dignité – et de mélancolie, allant crescendo dans la virtuosité. Son timbre radieux fait merveille dans les notes les plus hautes, puissantes, expressives et souples, mais le grave fait souvent défaut et le médium laisse parfois à désirer. Il faut dire que la diva marche quelque peu sur les plates-bandes de sa consœur Cecilia Bartoli avec laquelle on ne peut s’empêcher de la comparer. La cantatrice romaine nous a habitué à une interprétation chaleureuse du chant baroque passablement éloignée de l’interprétation qu’en propose la beauté blonde quelque peu hitchcockienne à ses heures, c’est-à-dire distante, voire froide. Il nous faut alors oublier les écoutes précédentes pour s’ouvrir à la très intéressante approche de Joyce DiDonato. On pense à l’affrontement de deux reines : l’Écossaise et l’Anglaise. Il va sans dire que la Bartoli correspond davantage à la fantaisie de Maria Stuarda et qu’on associerait volontiers le sérieux de la DiDonato à Elisabetta. Cela dit, si certains peuvent rester de marbre devant la mezzo-soprano américaine, d’aucuns succombent à la beauté du chant, l’autorité incontestable qui se dégage de ces notes tenues vaillamment, dans une quasi perfection de la ligne, soutenues par un incroyable legato et une maîtrise du souffle sans faille. Et la froideur aristocratique fond sous le moelleux et la sensualité de la voix.
La chanteuse est par ailleurs merveilleusement accompagnée par l’ensemble Il Complesso Barocco, remarquablement dirigé par le violoniste virtuose Dmitri Sinkovsky. Ce dernier, comme à la parade, aussi fringuant que sa queue de cheval en perpétuel mouvement, esquisse quelques pas chassés tout en faisant preuve d’une agilité folle à l’archet.
Après trois rappels virtuoses, sensibles et solaires, puisqu’on termine avec la reprise de « Brilla nell’alma » – « Let the Sun Shine », nous enjoint Joyce DIDonato – la belle finit par tirer sa révérence (qu’elle maîtrise d’ailleurs à la perfection), visiblement ravie de l’accueil du public. On attend la sortie du disque avec impatience.