Peter Sellars aime Paris et sa Philharmonie. Alors qu’il nous avait à peine quittés avec les Larmes de Saint Pierre, le metteur en scène américain revient à la Porte de Pantin pour la Petite Renarde rusée de Janáček. Un opéra traitant de panthéisme et de communion avec la nature a tout pour plaire à un artiste préoccupé tant par la question spirituelle qu’environnementale.
La version présentée est semi-scénique, mais pensée comme telle. Placée devant l’orchestre, une estrade agrémentée selon les besoins du moment de quelques chaises et d’une table fait office de décor unique. Au dessus des musiciens, un écran géant diffuse des images vidéo durant tout le spectacle. Le dispositif n’est pas neuf (il fait penser de loin au Tristan de Bastille), mais tout à fait efficace. Alternant gros plans d’insectes, de grenouilles ou de végétaux, la vidéo semble très à propos pour un compositeur fasciné par l’infiniment petit (curieusement, Janáček se passionnera pour les recherches autour de l’atome). Tout cela colle parfaitement à la musique, sans pour autant s’accrocher au doigt du spectateur tel le sparadrap du Capitaine Haddock, écueil des Larmes de Saint Pierre il y a peu.
Le véritable triomphe de cette mise en scène se situe avant tout dans une direction d’acteur maîtrisée à la perfection. Sellars brosse le portrait de chaque personnage jusque dans ses moindres détails, les pétrissant aussi bien de naïveté que de violence ou d’humour décapant. Le metteur en scène semble comprendre mieux que quiconque la psychologie que Janáček dévoile dans l’un de ses ouvrages les plus personnels.
© Claire Gaby / J’adore ce que vous faites
Malgré une distribution loin d’être tchècophone, la plupart des intervenants trouvent parfaitement leur place dans ce ballet soigneusement conçu. Hanno Müller-Brachmann est un Harašta crâneur et sûr de lui, fort d’un timbre brillant et corsé. Malgré un rôle assez discret, Anna Lapkovskaja s’impose en Chien dépressif, qui ne manque d’ampleur ni de rondeur. De même, Peter Hoare est loin d’incarner l’instituteur maigrichon auquel de nombreuses productions nous ont habitués. Son timbre métallique et puissant porte son personnage jusqu’aux dernières rangées de la salle. Par comparaison, Jan Martinik se trouve plus en difficulté. Malgré une bonne assise vocal, les aigus pâlissent rapidement, et son portrait de Prêtre en souffre un peu. Un constat similaire vaut pour Sophia Burgos. Pourvue de qualités musicales certaines, la voix paraît pourtant encore trop mince pour assumer jusqu’au bout le rôle du Renard, auquel il manque encore un peu de panache.
Question panache, le Forestier de Gerald Finley n’en manque certainement pas. Avec un investissement scénique complet, il s’assure un succès mérité auprès du public. La voix semble encore assez réservée au premier acte, mais la confiance prend le dessus, et la dernière scène est une réussite tant vocale que musicale.
Lucy Crowe est maintenant une habituée du rôle de la Renarde (elle le chantait déjà en 2013 à Glyndebourne). Un tel choix pourrait surprendre : malgré un répertoire où Mozart et Haendel se taillent la part du lion, la voix s’est assombrie au cours des années, et l’on sent poindre des rôles plus lyriques. C’est donc une Renarde lyrique qu’elle nous propose ce soir, aux aigus puissants. Complétée d’un jeu de scène toujours naturel, cette proposition finit par convaincre totalement.
Préparée par Sofi Jeannin, la Maîtrise de Radio France brille aussi bien en chœur que lors des interventions solistes. Le London Symphony Chorus, placé sous la responsabilité de Simon Hasley tire le meilleur des vocalises du deuxième acte. Leur placement en hauteur, sur le dernier balcon donne à ce tableau le parfum de mystère indispensable à cette scène.
Partenaire privilégié de Sellars, le chef britannique Simon Rattle officie au pupitre du London Symphony Orchestra ce soir-là. Habitué de la musique de Janáček dont il a livré plusieurs enregistrements-phares, il dévoile toute la science orchestrale d’un compositeur critiqué à tort pour son amateurisme en instrumentation. De nombreuses plages instrumentales revêtent ainsi une couleur sensuelle insoupçonnée, à l’image du splendide lever de soleil au premier acte. Très attentif au plateau, les équilibres sont toujours bien ménagés, et les chanteurs ne sont que très rarement mis en difficulté. L’orchestre surmonte toute les embûches instrumentales et nous montre qu’un compromis entre homogénéité des timbres et textures foisonnantes n’est qu’une affaire de bonne volonté.