Foule des grands soirs et chevelures sensiblement moins grises qu’à l’accoutumée au Théâtre des Champs-Élysées, qui accueillait ce vendredi soir le fringant Jakub Józef Orliński, propulsé au rang de contre-ténor vedette avec une rapidité étourdissante.
Le public de l’avenue Montaigne apprécie les falsettistes et semble bien parti pour faire du Polonais son prochain chouchou. Dès son entrée en scène d’un pas vif, le chanteur est ovationné. Le programme reprend largement celui du disque Facce d’amore, en évitant la très exigeante folie d’Orlando. Dans l’ensemble, interprétation et chant sont au diapason de l’album, avec, au fil de la soirée, le supplément d’âme d’une performance en direct. Soulignons d’emblée combien Il Pomo d’oro contribue à la réussite du concert, sous l’impulsion idéale d’un Francesco Corti qui danse et respire avec la musique derrière son clavecin, impeccable de Cavalli à Hasse. On voudrait citer les nombreux solistes de l’ensemble, du hautbois de Christopher Palameta au premier violon de Zefira Valova…
Orliński n’est pas en reste et sait créer de la complicité avec son public, sans en faire trop. Après deux sympathiques airs d’échauffement, il lance en français « merci d’être venu ! ». Au fil de la soirée, il s’amuse de son costume vert, déboutonne ostensiblement sa veste au gré des airs, évoque son premier disque, son plaisir d’être là ou l’anniversaire de sa mère… Mais il sait ensuite parfaitement recentrer l’attention de la salle sur la musique et les affects, fort de gestes mesurés et d’un visage expressif – expérience de la danse et du mannequinat ? La voix est plaisante, pas particulièrement puissante mais toujours audible. Le détail tend parfois à l’emporter sur l’architecture d’ensemble et la ligne, et le soutien trahit quelques fragilités passagères, coquetteries vocales qui ne sauraient remettre en question la bonne tenue d’un chant ciselé. Certes, plus qu’au disque les tessitures les plus graves sentent l’effort, et les coutures et zones de faiblesses de la voix apparaissent avec davantage d’évidence. Cela n’empêche pas la lamento d’Ottone (Agrippina) de séduire particulièrement. Le registre plaintif convient en effet à cette voix feutrée, et « Infelice mia costanza » de Bononcini avait déjà à juste titre fait monter l’intérêt d’un cran. Le premier véritable assaut de virtuosité, signé Conti, est bien enlevé, et la première partie s’achève sur un « Pena tiranna » résigné. On part à l’entracte avec une impression tout à fait agréable mais sans enthousiasme débordant, d’autant que tout musicien qu’il soit, le chanteur donne parfois l’impression de ne pas être tout à fait libéré.
La seconde moitié vient progressivement transformer l’essai. En dépit de discrets accrocs, l’extrait d’Orfeo signé Hasse est accrocheur sans être enivrant, et bien que probe, le Muzio de Haendel est moins dans les cordes du contre-ténor. En revanche les airs galants de Predieri touchent enfin à ce je-ne-sais-quoi qui charme pleinement et rend l’atmosphère plus électrique. « Finche salvo » est superbement interprété : le chant est libre et coule de source, le rubato est naturel, de beaux graves émaillent la ligne. Même succès pour l’autre air tiré de Scipione il Giovane, qui vient après un réjouissant intermède instrumental de Matteis. Le tortueux « Che m’ami » (Nerone) fait lui aussi belle impression. Au départ plus timide qu’au disque, le chanteur séduit par sa caractérisation et met le public dans sa poche avec une ample cadence caracolant du baryton au soprano. Chaque bis vient renforcer le triomphe : un « Alla gente » pudique et inspiré, un redoutable air de bravoure de Riccardo primo qui atteste des progrès réalisés par le technicien, et surtout le cheval de bataille de l’artiste, ce « Vedrò con mio diletto » qui lui a valu tant d’attention. De fait, cet air tombe dans les meilleurs notes d’Orliński, qui le maîtrise sur le bout des ongles et met la salle debout.
Succès mérité pour un chanteur habile, un fin musicien et un interprète charismatique.