Sept mois sans chanter. Nicolas Courjal aborde sur la pointe des pieds son Instant lyrique – le deuxième d’un parcours en pente ascendante – à la façon prudente dont on enfile un costume que l’on n’a pas porté depuis longtemps, de peur d’en craquer les coutures. Brahms n’est peut-être pas le mieux recommandé pour se jeter à l’eau. S’il fallait démontrer qu’il existe des affinités génétiques entre une voix et un répertoire, ces premiers numéros cueillis dans la pépinière germanique serviraient de pièce à conviction. Débit trop haché pour une musique qui voudrait s’écouler de manière plus fluide, dosage inégal du volume dans les Zwei Gesänge, où la voix domine la clarinette, le chanteur cherche ses marques sur un terrain a priori défavorable.
A l’autre extrémité du programme, les canzone de Tosti aboutissent aux mêmes conclusions. La légèreté induite par l’élégance de l’écriture n’est pas forcément adaptée à une tessiture de basse. Ces pages caressées par tant de – grands – ténors, qu’il est déroutant de les écouter noircies d’une encre pourtant noble, froissées d’un geste démonstratif mieux adapté à l’opéra vériste qu’aux velours des salons ! Impression personnelle. Dans la salle, un soupir flatteur salue L’Ultima Canzone.
Entre l’Allemagne et l’Italie, la France, et la preuve par Ropartz de la prédisposition d’une voix à s’épanouir dans une musique pensée pour sa langue maternelle. Derrière les Quatre Poèmes d’après l’Intermezzo de Heine, traduits en français par le compositeur lui-même, transparaît Chausson : Le Poème de l’amour et de la mer, selon certains ; Merlin dans Le Roi Arthus plutôt, lorsque le texte est ainsi étreint d’un chant ganté de bronze, tantôt apaisé, tantôt angoissé en accord avec la large palette d’émotions convoquées par ces pages trop peu jouées.
Puis, comme souvent dans les récitals, interviennent les bis et on a l’impression que la soirée commence alors que déjà elle se termine. Deux airs d’opéras, « parce que c’est mon ADN », explique Nicolas Courjal. Soudain, on vibre au diapason de la musique. Parce que l’opéra est aussi notre ADN ? Non, parce que le chant se libère, ose l’emphase sans que l’on trouve le volume excessif, s’éploie en un large éventail de couleurs, grince, pleure et ricane sans que l’expression ne paraisse outrée, avec un naturel qui est la clé paradoxale du chant lyrique, ô combien artificiel. Fiesco, et plus encore le Mefisto de Boito, bien que privé de ses sifflets potaches : sardonique, ironique, insolent, inquiétant.
Un mot encore pour saluer la présence de François Lemoine. Ce n’est pas si souvent qu’un clarinettiste est invité à participer à ce genre de récital, même si l’amoureux des voix a du mal à concevoir « Après un rêve » autrement que confié à un timbre de soprano – vous avez dit Crespin ? –, même si la complicité entre les artistes ne saute pas à l’oreille, ni aux yeux, sans doute en raison de ce silence forcé de plusieurs mois, même si ce coquin d’Antoine Palloc, très en doigts, accapare malgré lui l’attention, dans Ropartz qui lui refuse le simple rôle d’accompagnateur pour le propulser à l’égal du chanteur sur le devant de la scène, dans les mélodies italiennes aussi où le piano parvient à se faire mandoline.
Prochain Instant lyrique, lundi 12 octobre, Clémentine Margaine accompagnée au piano par sa sœur Sarah Margaine. A noter aussi le partenariat établi cette saison avec Google Arts and Culture qui permettra la retransmission en ligne des Instants lyriques de Sandrine Piau le 3 novembre 2020, Arturo Chacón-Cruz le 30 mars 2021, et Asmik Grigorian le 27 mai 2021.