Le premier Instant lyrique de Florian Sempey en juin 2018 offrait du baryton bordelais un portrait survitaminé. Que d’énergie ! Que de tempérament ! Que de décibels aussi ! Il fallait Reynaldo Hahn en fin de récital pour offrir un contrepoint sensible à ce chant trop généreux. La mélodie comme un antidote à l’excès ? Une invitation en tout cas à explorer des territoires plus contrastés et ajouter des teintes pastels à une palette de couleurs trop franches. L’expérience a servi de leçon. Salle Gaveau, trois ans après, dans un programme entièrement français, aux bis près, c’est sous un jour plus nuancé que l’on retrouve Florian Sempey.
Le Poème de l’Amour et de la mer n’évite pas toujours l’emphase. Une poigne trop héroïque froisse à plusieurs reprises le tissu raffiné d’une œuvre écrite à l’origine pour voix de ténor. Chromatisme wagnérien aidant, c’est la lance de Wotan dont on sent la pointe derrière ces quelques coups de gueule, alors qu’il suffit d’un seul mot, chuchoté comme un secret – « L’oubli » –, pour que s’entrouvrent les abîmes figurés par le texte autant que la partition. Se perçoit alors, là comme ailleurs, la présence et l’influence de David Zobel, maître de chant autant qu’accompagnateur ; commentateur aussi d’une action musicale dont Florian Sempey se fait le récitant.
Si Chausson débordait du cadre mélodique, Ravel, lui, atteint le point G, cet instant (lyrique) où les interprètes fusionnent avec une partition pour atteindre une espèce d’absolu. On peut concevoir Don Quichotte différemment. On ne peut discuter la manière gourmande dont le baryton croque le chevalier, des œillades amoureuses à une Dulcinée dont on ressent combien elle est idéalisée, aux hoquets avinés de la chanson à boire, en passant par une prière à Saint Michel, recueillie, inspirée.
Un ange passe. Il effleure de son aile Mab, la reine des mensonges, où là encore Florian Sempey montre quel conteur il peut être dès qu’il ne cède pas à la tentation du son. Hamlet, éprouvé sur scène à Berlin mais en version de concert, s’inscrit dans cette même vérité interprétative, parfois surlignée mais toujours juste.
Baryton prodigue, Florian Sempey dispense sans compter les trésors d’un chant qui a gagné en complexité avec le temps, à l’exemple des vins de son Bordelais natal. Le métal sans perdre de son éclat offre des nouveaux reflets, la prononciation française est remarquable, le débit moins haché. Plus riche que ce roi vanté par Hoël dans Dinorah, le chanteur a su préserver la technique acquise au contact prolongé de Rossini (qu’il retrouvera à Madrid dans La Cenerentola la saison prochaine). La virtuosité – parfois gratuite – de Meyerbeer demande une agilité imparable.
Oui, plus riche qu’un roi, comme le démontrent en bis un Poulenc truculent, un Figaro libéré, maîtrisé jusqu’au haussement de sourcil dans la moindre de ses inflexions, puis en un virage à 180 degrés, Schubert épuré, dépouillé, murmuré. Que de richesses aussi en cette pauvreté.