Une salle debout d’enthousiasme qui, chauffée à blanc, n’attend pas la fin de la triomphante et retentissante charge orchestrale finale d’un « Nessun dorma » très particulier, pour éclater en applaudissements crépitants et ovations déchaînées. La recette d’un tel succès n’est pas mystérieuse : des airs “porteurs” où la mélodie règne en maître, et un grand talent chez tous les interprètes.
Renonçant à une manifestation commémorant cinq années de collaboration avec José Cura, l’association Nancy Opéra Passion a organisé un concert de solidarité en faveur des sinistrés du Japon, obtenant que les chanteurs, pour la plupart anciens participants aux master classes passées, et le chef d’orchestre, se produisent sans cachet ; la recette devant être versée à la Croix-Rouge japonaise. Simples et émouvants furent les discours du président, éminent chirurgien-mécène, et du ministre attaché à l’ambassade du Japon à Paris.
Hiromi Omura, déjà superbe Silvia du charmant Zanetto de Mascagni en 2007, ouvre ce concert de sa voix de velours et de soie dans le duo de Butterfly. Plus tard la grande cantatrice japonaise devait déployer une somptueuse palette de chaleureuses couleurs d’automne dans l’Air du Saule d’Otello. Un grave consistant, un brillant mesuré, des piani suberbes (la poignante envolée finale du Saule !), donnent une mesure de son talent, que confirme un duo d’amour (Butterfly) tout de velours scintillant… Face à un Pinkerton pourtant violent, sanguin même !
A son entrée pour Cavalleria rusticana, les murmures du public montrent combien est attendu José Cura Avec un frémissement d’émotion, on le voit, non pas incarner, mais “être” immédiatement Turiddu ! Au personnage mascagnien, José Cura confère d’emblée et avec grand talent, ses souffrances et sa passion le conduisant à l’intransigeance douloureuse avec laquelle il traite la pauvre Santuzza dans le duo brûlant de Cavalleria. Les graves sont impressionnants, l’aigu toujours lumineux et d’une consistance saisissante. Avec aplomb, force, et une vibration enflammée dans la voix, il remplit et sature la salle rococo de l’Opéra de Nancy et déchaîne l’enthousiasme du public ébahi.
Sa partenaire, le mezzo-soprano français Marie Kalinine, a fort à faire pour tenir tête à un Turiddu de cette étoffe. Mais doté d’un beau vibrato donnant d’emblée son expression à sa voix, elle lui offre néanmoins une réplique fervente, réservant ses mezza voce pour le duo initial de Butterfly et l’air de Dalila, à la passion plus contenue et difficile à animer. Au
Le baryton-basse internationalement apprécié Bruno Praticò, récemment présent à Nancy pour Le Nozze di Figaro, a tenu à revenir dès qu’il a appris l’existence de ce concert de charité. Vieux routier des rôles bouffes, il se joue de l’air d’entrée de Don Magnifico (La Cenerentola), et compose un trucculent Dottor Dulcamara de L’Elisir d’amore, amusant tout le monde de ses mimiques destinées évidemment à mettre en lumière un texte bouffe que le public ne comprend pas. Irrésistible est son geste inattendu de tirer de son habit une petite bouteille (!), puis, lorsqu’il comprend qu’Adina n’en a pas besoin, de l’offrir avec résignation à une dame assise au premier rang d’orchestre !
Adina, précisément, est le soprano français Eva Ganizate qui, après une élégante valse de Musetta, de son timbre fruité à l’aigu velouté, interprète une belle Adina, vibrante d’espièglerie, et accentuant les paroles dans les parties piano, qualité pas si répandue et constituant un bel accord avec le chant syllabique du bon Dottore.
Venu de Bordeaux, le soprano Marie-Adeline Henry met son timbre éclatant, frappant dès l’attaque, au service de l’air « Divinités du Styx ». Un timbre certes métallique, mais d’argent, compact et brillant, et une technique sûre, assumant les terribles aigus “non amenés” et les accents véhéments voulus par l’air.
Quatre autres ténors, bien distincts par leurs qualités propres et fort appréciables, participent à ce concert. Le Bordelais Vincent Delhoume déploie dans le Lied d’Ossian un beau lyrisme nuancé, mêlant des accents à la Alain Vanzo et une sonorité de médium — et quelques coups de glotte expressifs — à la Franco Corelli. Avi Klemberg s’attaque avec courage à rien moins que « La donna è mobile ». Si la voix semble un peu “de gorge”, elle se libère vers un aigu brillant et assume les piani et nuances attendus dans un air aussi célèbre… sans oublier le dernier aigu, assassin car sans soutien d’orchestre. Florian Cafiero possède un timbre flatteur, aux sonorités rappelant curieusement parfois celles d’un Ferruccio Tagliavini. Avec éclat, chaleur et brillant, il sait donner à l’air « Addio fiorito asil » (Madama Butterfly), son intensité indispensable, sans jamais charger : un lyrisme toujours triomphant, au service de la mélodie. Julien Dran, d’un timbre clair mais consistant, doit se jouer de l’air aux fameux neufs dos aigus de La Fille du régiment, sans faillir ni hésiter, avec un abattage sympathique et un panache bon enfant. A la salle déjà impressionnée et conquise, il offre par surcroît un interminable et inhabituel aigu final !
Le baryton panaméen Ricardo Velasquez, à l’altière contenance, chante la mort de Posa (Don Carlo). Un timbre clair, avec un bel aigu charnu mais brillant, plein et impressionnant, compensent ce soupçon supplémentaire de projection, de vibration, que l’on attend dans ce poignant air d’adieu à l’amitié et à la vie.
Deux basses fort talentueuses, désormais connues et appréciées du public nancéien, participent à ce concert. Jean-Vincent Blot, un Don Basilio en queue de pie des plus élégants, nous régale de son grave somptueux, large, gras et sonore. On découvre aussi ses dons de comédien qui s’amuse, avec un suraigu final inattendu, fort à sa place dans un concert brillant et joyeux. On lui pardonne la petite coupure de la reprise « Quel meschino calunniato », en vigueur de nos jours… (O tempora…). Le TchèqueJosef Skarka, de son grave cuivré, montre une très belle ligne de chant —obligatoire pour Bellini !— dans la cavatine du Comte Rodolfo (La Sonnambula), et assume les vocalises de la cabalette… avec da capo mais curieusement tronquée dans sa charge orchestrale finale !
Le chef attentif Tito Muñoz sacrifie un peu à la vogue de diriger précipitamment, mais l’orchestre participe brillamment à la fête d’ensemble et, détail touchant, on voit même arriver sur scène un bouquet destiné à une violoniste fêtant plus de trente années de présence.
Le bis final, tout à fait inattendu, voit revenir en scène les… cinq ténors (avec le commentaire humoristique de José Cura faisant allusion aux célèbres trois ténors apparemment ici dépassés !). Mais l’orchestre attaque déjà le début du « Nessun dorma »… Une ombre de concertation rapide et l’un après l’autre, les quatre ténors se jettent à l’eau, avec leurs moyens et spécificités respectifs. Aucune noyade, ni de bouée de sauvetage lancée par le cinquième — José Cura — qui, lui, a le rôle du prince Calaf dans ses cordes vocales. Une performance étonnante, inattendue et si réussie que l’enthousiasme du public est porté au paroxysme. D’autant que, dans un geste touchant de gentillesse, José Cura s’est retiré discrètement, laissant Werther, Tonio, Pinkerton et le Duc de Mantoue rivaliser dans l’aigu final.