Ce programme n’est pas une nouveauté : déjà donné à l’opéra de Lyon le 17 janvier dernier sous le titre « Mozart Arias : l’Égypte mythique, de Thamos à la Flûte Enchantée » (mais sans La Sortie d’Égypte), il sera redonné notamment au festival de Beaune le 3 juillet avec la même distribution, au festival de Lessay le 3 août sous le titre « L’Égypte mythique, Mozart et les Français » avec une autre soprano, Maria Virginia Savastano, et le 29 août à La Chaise-Dieu sous le titre « Mozart, de Paris à la Vallée des Rois ». Où donc est le temps où l’originalité d’un festival reposait sur l’exclusivité et la présentation de concerts inédits, plutôt que sur l’accueil de tournées ?
Les œuvres « égyptiennes » choisies sont en elles-mêmes alléchantes, mais que vient faire parmi elles la symphonie n° 31 ? Ayant sur place de bons chanteurs, il était tout à fait possible de présenter des cantates maçonniques, ou d’autres extraits de La Flûte enchantée. Heureusement, l’oratorio La Sortie d’Égypte, d’Henri Joseph Rigel, est, lui, d’un intérêt exceptionnel : c’est une rareté qui mérite à elle seule le déplacement. Puissance d’une composition déjà pré-romantique, élégance du style, originalité de la construction dramatique, on comprend pourquoi cet ouvrage a remporté à sa création un si grand succès, et pourquoi il fut donné une trentaine de fois dans les dix années qui suivirent. Le compositeur, âgé de 33 ans, lorsqu’il écrivit cette œuvre, justifie pleinement le jugement de Gluck qui déclarait aux administrateurs de l’Académie royale : « Vous avez un homme qu’il vous faut attacher : M. Rigel est l’homme qui convient pour le grand théâtre. Quand on a fait un oratorio tel que La sortie d’Égypte, on est en état de faire de grands ouvrages ». Voilà qui donne bien envie de découvrir ses drames sacrés et autres oeuvres lyriques.
Peut-on dire pour autant que l’on ait totalement découvert cette Sortie d’Égypte quand on a fait sans prévenir des coupures aussi importantes que la totalité des scènes 1 et 4 – sur 5 scènes –, et cela sans annonce (hormis celle de l’indisposition de la soprano).
Œuvre d’un plus jeune homme encore, le Thamos, roi d’Égypte fut composé par Mozart à l’âge de 18 ans, puis modifié peu après pour des représentations à Salzbourg. Les personnages et l’intrigue sont fort proches de La Flûte enchantée, qu’ils annoncent, et il est frappant de constater que chacune de ces deux œuvres se situe aux deux extrémités de la vie du compositeur, montrant combien la culture maçonnique était profondément ancrée en lui.
Malheureusement, l’exécution proposée ne nous a pas semblé à la hauteur de l’intérêt du programme La direction souvent hyper rapide de Jérémie Rhorer en est la cause essentielle : précipitée, agitée, bousculée, voire chaotique (et même disloquée pour la symphonie), sans raison particulière sinon de faire « original ». Cela nous a valu nombre d’attaques peu franches, une dynamique anarchique, un déséquilibre fréquent des pupitres amenant à n’entendre qu’un partie des notes écrites, et de plus des sonorités plus ou moins justes, des violons sonnant de faible à acide, et des vents aux départs aléatoires. Ce côté artificiel, clinquant et inabouti de la direction – bien dans la tendance bling-bling – n’a pas empêché quelques beaux moments d’envolées lyriques. Mais quelle idée d’avoir disposé les chanteurs en biais derrière les violoncelles, tournés vers le chef : les voix ainsi dirigées vers la gauche et non vers le public, allaient se perdre dans un espace déjà limite en termes de réverbération ; les auditeurs placés à droite les entendaient parfois à peine (notamment l’alto, et la soprano qui se trouvaient tout au fond). En revanche, on a pu juger de ce qu’aurait pu être le concert si tous avaient été sur le devant de la scène, comme le baryton Andreas Wolf qui s’y est déplacé au moment de ses airs, et a pu ainsi faire valoir l’autorité de sa voix large et musicale, parfaitement adaptée. Mathias Vidal, le délicieux comte Almaviva du Barbier de Saint-Céré d’il y a deux ans, a également fait une prestation de grande qualité, avec son timbre clair et sa prononciation parfaite. Pour les raisons évoquées ci-dessus, on ne dira rien de plus des deux cantatrices Eugénie Warnier et Camille Merckx, sinon qu’elles sont l’une et l’autre très musiciennes et que l’on a pu percevoir d’assez jolies choses.
Fort heureusement, l’excellent chœur de chambre « Les Éléments », conjointement avec les solistes, a permis au concert de garder quand même un niveau acceptable, malgré l’agitation orchestrale perpétuelle.