La dernière représentation de la saison romaine (avant le festival aux Thermes de Caracalla) fait la part belle aux jeunes chanteurs. Le temps d’une soirée, des lauréats de prix divers ou bien formés dans divers ensemble font leur cette production du Viaggio a Reims signée Damiano Michieletto en 2015 à Amsterdam. À Rome, la fin des ensembles laisse entendre des mécontentements contre cette proposition fouillée, intellectuelle, certes drôle, irréprochable dans sa réalisation au cordeau mais en effet fort peu lisible. Les rapports entre les personnages et leur motivation se perdent dans un musée où l’on déambule en plein accrochage. Les airs ou les scènes défilent comme des numéros dans une revue que pas grand-chose ne relie avant que la clé ne soit donnée dans l’image finale. Une reproduction vivante du « Sacre de Charles X à Reims » (François Gérard) se dessine sous nos yeux pendant toute la louange de Corinna, élégante manière de dépasser un deuxième acte fort peu opératique et de détourner le panégyrique du monarque depuis longtemps disparu vers l’art en général.
Les quelques chahuts à l’encontre du chef Stefano Montanari nous semblent plus difficilement compréhensibles. Il fait montre d’une très belle capacité d’adaptation. La première demi-heure de musique s’inscrit sûrement dans la lignée du travail préparatoire et des représentations avec la première distribution. Elle est rossinienne d’essence : rupture de rythme et de volume, tempo endiablé, couleurs. Las, dans cette ultime soirée, les repères ont changé et l’abattage des chanteurs n’est surement pas le même. Qu’à cela ne tienne, le chef calme le jeu, évite de trop pousser le son de l’orchestre, maintient un rythme plus égal et rive sa gestuelle au plateau avec, pour conséquence, une interprétation plus scolaire mais tenue de bout en bout.
© Yasuko Kageyama
Les chanteurs s’attirent les bravos du public. Le niveau est globalement homogène, l’émulation de troupe, le plaisir d’être sur scène communicatif et surtout l’envie de suivre tant l’écriture que l’esprit rossinien bien présents. Les audaces sont nombreuses. Elles sont parfois payées de succès. Ainsi le Libenskof de Pietro Adaini laisse entendre un timbre solaire, assis sur une technique solide et une amplitude vocale qui font mouche lors du duo de la réconciliation avec Melibea. L’interprète de cette dernière, Cecilia Molinari dispose d’une voix ronde et puissante capable de dépeindre la passion qui couve sous des dehors sages. Adriana Ferfecka (Corinna) phrase ses stances avec une musicalité exemplaire. Par son union délicate avec la harpe, le timbre, soyeux, suspend le temps lors de ses deux grandes interventions. Valentina Varriale (Madama Cortese) ne démérite pas, mais le medium peu affirmé la rend quasi inaudible en dehors même des ensembles. Problème qu’elle partage avec Maria Aleida (Folleville) elle aussi confidentielle, à l’exception d’aigus stratosphériques en voix de sifflet, impressionnants certes mais hors style. Filippo Adami (Belfiore) délivre la prestation la plus contrastée : présence scénique évidente et séduisante, voix belle et lumineuse mais problèmes récurrents de justesse dans le registre aigu. Quelques piliers du répertoire rossinien cimentent la qualité de la représentation. Nicola Ulivieri croque Don Profundo commme il sait le faire depuis une vingtaine d’année à la scène et au disque. Ligne, couleurs, variations… D’une noblesse indéfectible tant dans la tendresse de l’aveu que dans les élans escarpés de sa cabalette, Adrian Sâmpetrean enfin (Lord Sidney) se hisse d’une large tête au-dessus de la mêlée.