Osera-t-on l’avouer ? Au moment de retourner sur la place centrale de Pesaro convertie en auditorium à l’air libre, l’enthousiasme nous faisait défaut. Un ènième Viaggio a Reims sans têtes d’affiche prestigieuses, dans une production vue et revue puisque reprise année après année depuis 2001, et pas de chanteurs à découvrir puisque la distribution a été composée en recrutant des interprètes dans les cuvées des dernières années de l’Accademia Rossiniana et du festival.
Première bonne surprise, l’affluence est supérieure à ce qu’elle était la veille. Tout n’a pas été vendu, mais en dépit du respect des mesures de distanciation on a l’impression d’une foule, où l’on peut repérer des visages connus, d’Italie ou d’ailleurs, et ces rencontres de hasard réconfortent, comme autant de témoignages d’une volonté commune de participer à la survie du spectacle vivant. Mais comme la veille, peu d’autochtones, sinon des piliers historiques que le temps a jusqu’ici épargnés et encore capables de se mouvoir de façon autonome.
Deuxième bonne surprise, un jeune chef d’orchestre inconnu de nous, Giancarlo Rizzi. Est-il apparenté à son homonyme maintes fois présent à Pesaro ? A en croire son curriculum, sa pratique de la direction d’opéra est embryonnaire. Pourtant il suffit qu’il donne le signal du départ et en quelques secondes la beauté de cette musique qu’on croyait avoir trop entendue revient nous captiver : Rossini l’enchanteur vient nous faire honte d’avoir douté de lui. S’il sera moins convaincant après l’entracte, ce jeune chef a manifestement un sens aigu des moments musicaux et de leurs relations. La cohérence n’est pas absolue mais régler cette œuvre à numéros relève de l’horlogerie de haute précision ; disons que les intentions sont indéniablement les bonnes et le résultat des plus prometteurs, en termes de contrôle de la dynamique et souci de faire chanter l’orchestre.
Troisième plaisir, la participation de l’Orchestre Symphonique G.Rossini, qui assure à l’exécution la propreté, la netteté et la fluidité qu’elle exige.
Faute d’aller à Reims on festoie à Plombières © amati
En somme, dira peut-être le lecteur agacé, c’était la soirée bons points ? Ce serait une conclusion hâtive, il reste à parler des chanteurs. Ils ont semblé se prêter à cette opération sauvetage du ROF – car, pour la précision, il était essentiel qu’une édition ait lieu sous peine de perdre l’importante contribution annuelle de l’Etat – avec la meilleure bonne volonté et aucun, fût-ce dans les plus petits rôles, n’a démérité. Sans doute tous n’ont pas brillé du même éclat mais pour certains c’est la conduite d’acteurs qui a pu le ternir. Ainsi la comtesse de Folleville de Claudia Muschio affiche bien le ramage nécessaire à camper la Parisienne narcissique et frivole, mais elle outre constamment son jeu de scène au point que le contraste comique qui la fait passer sans transition du désespoir parodique à l’excitation emphatique est à peine perceptible. Il est sans doute difficile de trouver le juste équilibre entre le trop et le pas assez, mais d’un personnage croqué avec une ironie tendre elle fait une caricature, et c’est dommage. Matteo Roma, qui chante Belfiore sans problème particulier, tend lui aussi à très vite forcer le trait, dans la scène où il s’efforce de séduire Corinna, si bien qu’on ne perçoit pas la progression comique qui voit le personnage s’enferrer jusqu’à dramatiser ridiculement sa situation. Pietro Adaini, qui n’est pas passé par l’Accademia Rossiniana et a de faux airs de José Cura, semble en proie à une colère permanente et donne l’impression de chanter en force, à l’opposé de l’orthodoxie du chant rossinien. Sans être exceptionnelles, les participations de Claudia Urru (Madama Cortese) Chiara Tirotta (Marchese Melibea) et Nicolo Donini (Lord Sidney) sont irréprochables.
La cerise sur le gâteau, pour nous, reste Maria Laura Iacobellis, déjà Corinna dans la promotion 2018 de l’Accademia, même si l’approche du personnage nous semble pouvoir évoluer. Sans tourner autour du pot, disons les choses simplement : cette chanteuse a été dotée par la nature du physique qui depuis des décennies a propagé l’image de la femme italienne comme un condensé de sensualité. Or le personnage de Corinna, la poétesse qui improvise sur le sujet qu’on lui propose après avoir vaticiné sur le triomphe de la Croix sur le Croissant, semble d’abord flotter au-dessus des passions terrestres, au désespoir de Lord Sidney. Il faudrait donc que l’interprète réussisse à alléger sa voix pour faire exister cette intellectuelle. Maria Laura Iacobellis y parvient magistralement dans la dernière intervention de Corinna, moins nettement auparavant, peut-être handicapée par une direction d’acteurs qui la fait partenaire de Belfiore dans la scène de séduction alors qu’en fait elle ne cesse de se dérober car ces manoeuvres lui sont étrangères.
Mais le lecteur aura compris que nous coupons les cheveux en quatre, et le public s’est borné à l’essentiel, exprimer longtemps et avec force sa satisfaction et sa reconnaissance à tous les artistes.