Rien ne résiste à Anna Netrebko. Les Arènes de Vérone et ses 20 000 spectateurs ne feront pas exception. Elle y effectuait ses débuts le samedi 29 juin – aux côtés de son conjoint à la ville – dans le rôle de Leonora d’Il Trovatore où elle excelle et qui figure en joyau central dans sa couronne de succès. Dans l’acoustique ouverte de l’amphithéâtre romain, la voix ne parait en rien diminuée, même si elle doit cohabiter avec les cris des pinsons au premier acte le temps que le soleil ne finisse de se coucher. Rondeur et chaleur du timbre enveloppent les spectateurs dans la torpeur de ce début de soirée de canicule et déjà dépeignent l’amoureuse, avant que les premiers aigus piano projetés avec une aisance confondante jusqu’au plus haut gradin viennent la placer dans les pas des plus illustres devancières ayant foulé le sable de Vérone. Elle est déjà maitresse de l’arène et recevra un vrai triomphe de gladiatrice après un quatrième acte, où, à cette technique souveraine s’adjoint une présence que l’immensité de la scène magnifie encore. Elle envoûte par d’interminables piani dans « d’amor sull’ali rose » avant que le public ne se réveille et réclame en vain un bis. Yusif Eyvazov mérite sans l’ombre d’un doute sa place dans cette distribution. De saison en saison il a fait montre d’une spectaculaire progression. De fait, voilà un Manrico pugnace et à l’endurance infatigable. « La pira », incontournable et pourtant si peu représentative du rôle, est défendue pied à pied, dans le ton, avec reprise et aigu conclusif tenu pour électriser les festivaliers. Si le ténor azerbaidjanais dispose d’un volume conséquent, la projection est, elle, moins exemplaire et le pousse dans ses retranchements. Aussi le vibrato devient-il envahissant en cette fin d’acte. En revanche l’acoustique sans réverbération de l’arène expose beaucoup moins son timbre nasal qu’un théâtre traditionnel. Une technique sûre et une musicalité maintenant mûrie complètent la palette dans laquelle Yusif Eyevazov puise pour servir les autres facettes de Manrico : l’amant, le fils dévoué. Dolora Zajick use avec soin de son métier pour exister à côté de ces deux phénomènes. Les moyens sont parfois entamés ou économisés pour assurer les éclats et la présence nécessaire aux moments clés. Luca Salsi signe une performance en demi-teinte, il chante un peu bas à quelques reprises mais assure lui aussi le spectacle grâce à une maitrise de souffle remarquable. Aucun problème pour les très courts seconds rôles de l’œuvre qui font mouche à chacune de leurs intervenions et notamment le Ferrando de Riccardo Fassi. Pleine et entière satisfaction également du côté du chœur des arènes de Vérone puissant et homogène.
© Foto Ennevi – Fondazione Arena
Pier Giorgio Morandi s’efforce de maintenir la cohésion de ces nombreuses troupes tant dans la fosse que sur une scène très évasée. Belle gageure à laquelle il ne sacrifie ni les couleurs ni la dynamique.
La mise en scène, historique, porte le sceau de Franco Zeffirelli et en contient tous les attributs : costumes flamboyants, chevaux sur scène – que le couple vedette enfourche vaillamment avant de lancer bravaches l’aigu conclusif de l’acte 2 – direction d’acteur inexistante, et décors à l’esthétique franchement ringarde pour nos canons actuels. Que viennent faire à cour et à jardin ces deux statues de ferrailles de chevaliers au combat ? Mais dans une arène qui veut rassembler jusqu’à 22000 spectateurs, connaisseurs ou touristes novices, l’enjeu est d’assurer le spectacle, pas d’inventer le théâtre de demain. Contrat rempli, d’autant que c’est une version hybride du Trovatore que Zeffirelli a fait adopter. La version italienne bien évidement mais à laquelle il ajoute les ballets de la version française, rare occasion d’entendre cette musique et de profiter quelques minutes d’un ballet de bohémiennes et d’une sévillane convenus.