Mettre en scène Il Trovatore, c’est bien souvent chercher en vain un fil conducteur qui permette de relier les épisodes et les personnages de ce livret invraisemblable. On aura vu notre troubadour chanter ses balades et appels aux armes dans un musée, dans les tranchées de la première mondiale etc. Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil à la tête de leur Lab opèrent un choix identique, celui de rajouter une situation d’énonciation. Mais c’est là que ça se corse : nous voici à Rouen en 2050 (ou 2070) dans une société contrôlée par la Luna Corporation (qui n’est pas sans rappeler la Shinra Inc. d’un célèbre jeu vidéo). Manrico est un hacker, look emo ou Neo (selon la référence que vous choisirez), Azucena à la tête d’un groupe punk anarchiste et versée dans les arts occultes (façon teen movie), Leonara hésite à rejoindre les « servantes écarlates »… et tout est à l’avenant. Le problème c’est que cela ne rajoute pas grand sens à cette histoire déjà abracadabrante et en complexifie donc la lecture. Gageons que les plus jeunes membres du public se sentiront en terrain connu avec toutes ces références à la culture pop et gamer des vingt dernières années. D’autant que la réalisation (vidéo, changement de décors à vue, costumes) est d’excellente facture et profite des possibilités offertes par le moderne Opéra de Rouen Normandie. Las, nos metteurs en scène s’épargnent toute direction d’acteur et voici nos protagonistes qui effectuent des balayages de cours à jardin. L’ennui finit par suinter rapidement au milieu des incongruités.
Malheureusement, le plateau vocal nous a semblé de moindre qualité que les derniers Verdi in loco. Lionel Lhote domine la distribution d’une courte tête, grâce à un phrasé exemplaire assis sur une solide technique. Ce chant propre permet un portrait contrasté du Comte entre tyrannie et fragilité. Jennifer Rowley, habituée du rôle, en possède toujours une partie de la grammaire technique : trilles, staccati, vocalises… Pourtant, toute nuance lui semble désormais inaccessible et cette Leonara oscille entre le mezzoforte et le forte en permanence. Ivan Gyngazov s’inscrit dans ses pas, la technique belcantiste en moins. Pire, si l’on est impressionné par la largeur des moyens vocaux (la « pira » est donnée dans le ton mais sans la reprise), ceux-ci s’avèrent être un handicap et le tenor peine à soutenir les phrases courtes des répliques du rôle. Sylvie Brunet-Grupposo quant à elle, s’efforce de remplir un costume un peu trop large : le grave ne passe la rampe que poitriné et le haut de la tessiture s’entache d’un vibrato serré. Parmi des seconds rôles de qualité, Grigory Shkapura incarne un Ferrando violent et vociférant, conformément à la volonté de la mise en scène.
© Opéra de Rouen Normandie
A la décharge de chacun, la balance scène orchestre est toujours aussi compliquée à l’Opéra de Rouen Normandie, l’orchestre n’ayant pas regagné ses pénates de la fosse, précaution covid oblige. Il s’étale donc sur la moitié des rangs du parterre. Las, Pierre Bleuse peine à trouver le bon dosage et alanguit bien souvent la dynamique pour faciliter la tâche de son plateau : les strette sont presque toutes prises sur un tempo ralenti par exemple. Heureusement, les chœurs délivrent une performance remarquable et font des scènes de groupes une belle réussite.