« On reprend les même et on recommence », ainsi notre confrère Antoine Brunetto intitulait-il son compte rendu de la première distribution du Trovatore à l’Opéra Bastille, un titre qui pourrait également s’appliquer à la seconde dont trois des quatre principaux interprètes étaient déjà présents lors de la création de la production d’Alex Ollé en 2016, à commencer par Vitaliy Bilyy, appelé à la rescousse pour remplacer Gabriele Viviani souffrant. Le baryton ukrainien possède un médium solide non dénué de séduction. Son comte de Luna a gagné en profondeur. Il en livre un portrait complet et nuancé. Au deuxième acte, c’est un homme sincèrement épris qui interprète « Il balen del suo sorriso » avec une ligne de chant châtiée, et la cabalette qui suit avec autorité et une technique accomplie. Au quatre, aveuglé par la jalousie, le personnage devient brutal et menaçant face à Leonora avec une égale conviction.
Ekaterina Semenchuk n’a rien perdu de son abattage ni de ses moyens. Les raucités de son registre grave et l’impact de ses aigus tranchants impressionnent dans un « Condotta elle era in ceppi » totalement halluciné tandis qu’au dernier tableau son « Ai nostri monti » délicatement susurré est empreint d’une tristesse nostalgique qui ne laisse d’émouvoir.
© Julien Benhamou / Opéra national de Paris
Jennifer Rowley qui remplace Elena Stikhina initialement prévue, crée la surprise en effectuant des débuts remarqués sur la scène de l’Opéra Bastille. Comme elle l’expliquait dans l’interview qu’elle nous a accordée, sa Leonora est -au début de l’intrigue- une toute jeune fille passionnée et volontaire. Une conception qui tient la route grâce à la fraicheur du timbre juvénile de la cantatrice, son aigu brillant et sonore et son aptitude à émettre de jolis sons filés qui font merveille dans sa grande scène d’entrée « Tacea la notte placida » et la cabalette qui suit où elle semble parfaitement à l’aise. Au quatrième acte la jeune fille est devenue femme et la soprano américaine affronte crânement la tessiture plus dramatique du rôle. La strette « Vivrà ! » témoigne de sa capacité à vocaliser à vive allure tandis que le « miserere » fait entendre un grave certes encore ténu mais audible, qui s’épanouira avec le temps.
Enfin Yusif Eyvazov, en grande forme, est le triomphateur de la soirée. Le ténor exhibe une voix saine, puissante et homogène. Le rôle de Manrico ne semble lui poser aucune difficulté. Depuis 2016, l’interprète est en progrès tant sur le plan vocal que scénique. Son « Mal reggendo all’aspro assalto » a toute la vaillance requise, et au trois, « Ah si ben mio » bénéficie de demi-teintes d’un bel effet. Non content de chanter « Di quella pira » dans le ton avec une insolence vocale à toute épreuve et un contre-ut glorieux et tenu, il conclut le trio du premier acte par un contre-ré bémol percutant. L’ovation qui accueille cette prestation de haut vol au rideau final est amplement méritée.
Le reste de la distribution n’appelle aucune remarque particulière, soulignons la belle prestation des chœurs préparés par José Luis Basso, aussi convaincants en bohémiens qu’en soldats.