On connait le mot d’Arturo Toscanini qui déclarait que pour monter Le Trouvère, il suffisait de réunir les quatre meilleurs chanteurs du monde. On sait bien que le chant verdien n’est plus aujourd’hui à son apogée : dès lors on appréciera que la Scala ait réuni quatre des meilleurs chanteurs … du moment ! En Manrico, Marcelo Alvarez, qui fête ses 52 ans en février, étonne par son timbre riche, jeune, toujours séducteur, son magnifique legato et un chant stylé et raffiné. Seul l’aigu laisse entrevoir les effets des ans : ainsi, pour « Ah, si ben mio », le haut de la tessiture est un peu haché ; quant à la cabalette qui suit (réduite à un seul couplet), elle est, classiquement, transposée d’un demi ton. Alors que l’ensemble de la prestation est absolument remarquable, le « Di quella pira » reste au final le point faible, la voix manquant de projection, l’interprétation manquant d’urgence pour ce passage particulièrement « électrique ». Réserves mineures au regard de la qualité globale de la prestation, d’une grande intégrité, et qui rend pleinement justice à la dimension belcantiste de l’ouvrage. Maria Agresta en Leonora est ici beaucoup plus à l’aise que dans ses contestables Puritani à Paris, se jouant avec aisance des difficultés de la partition (notamment les cadences aiguës de son air d’entrée). D’une puissance moyenne, la voix est bien projetée et homogène sur l’ensemble de la tessiture mais manque un peu de variété dans les couleurs, alors que les dynamiques alternent intelligemment forte et piani. Seul vrai regret, la coupure de la reprise du « Tu vedrai » que le soprano aurait sans doute pu facilement orner avec élégance. Remplaçant Leo Nucci qui a malheureusement décidé de renoncer définitivement au rôle, Franco Vassallo témoigne de progrès techniques remarquables et campe un Conte di Luna de belle allure, encore un peu fruste, mais à l’aigu généreux, à la voix puissante et moins engorgée que par le passé. L’Azucena d’Ekaterina Semenchuk se caractérise surtout par l’homogénéité de sa prestation : les notes les plus traîtresses de la partition sont parfaitement maîtrisées, mais le chant est assez plat et le personnage quasi inexistant. Style impeccable, bonne projection, Kwangchul Youn reste toujours une valeur aussi sure, qu’il chante Wagner, Verdi … ou Meyerbeer ! Parmi les comprimari, tous d’un bon niveau, on ne citera que l’excellent Massimiliano Chiarolla déjà apprécié la veille dans Lucia di Lammermoor.
A la tête d’un orchestre pourtant en belle forme, Daniele Rustioni fait malheureusement mentir Toscanini. Certes on apprécie que le jeune chef fasse ressortir certains détails de la partition, mais cette attention au détail ne comble pas une absence globale de tension : or, Le Trouvère a besoin d’une baguette ferme et énergique pour ne pas être réduit à une suite de numéros vocaux.
Il faut dire que la production d’Hugo de Ana n’arrange pas les choses. A la décharge du metteur en scène, l’ouvrage est particulièrement difficile à faire vivre scéniquement ; à titre personnel, j’ai toujours été surpris par le décalage que l’on peut ressentir entre l’écoute d’un enregistrement du Trovatore et sa concrétisation scénique : on a l’impression que la musique avance plus vite que l’action, en particulier quand les personnages restent figés dans des poses conventionnelles. Sans doute conscient de cet écueil, de Ana a tenté de le détourner par un renforcement du statisme : duels et batailles au ralenti, lente gestuelle des chanteurs (parfois à la limite du risible lorsqu’il s’agit d’Agresta et de ses suivantes)… Mais au bout d’un moment, la musique se venge et le parti dramaturgique se révèle inadapté. On appréciera toutefois des décors monumentaux et des costumes somptueux, ce parti-pris spectaculaire parfaitement assumé reste un régal pour l’œil. Enfin, n’oublions pas le Chœur de la Scala, absolument magnifique, qui contribue à la richesse de cette soirée.