C’est une salle enthousiaste qui a accueilli l’ensemble des interprètes – chef et metteurs en scène compris – de ce Roi Pasteur que le Châtelet affiche pour six représentations à partir du 22 janvier. La scénographie et les costumes ont été confiés à Nicolas Buffe qui a également assuré la direction d’acteurs, en collaboration avec Olivier Fredj. Le plasticien français avait déjà réalisé les décors et les costumes de l’Orlando paladino de Haydn que le Châtelet avait proposé en 2012. Il applique la même esthétique à l’œuvre de Mozart dont il situe l’action dans l’univers des Mangas, des séries de science-fiction et des jeux vidéo, avec également quelques références à la Guerre des étoiles. Cette transposition dans un futur de bande dessinée, à l’opposé de ce que l’on voit généralement à l’opéra, est tout à fait jubilatoire. L’élément principal du décor est un immense écran incurvé placé au fond de la scène sur lequel sont projetées diverses images : un ciel étoilé que traverse de temps à autre un vaisseau spatial, un étendue désertique qui évoque la surface lunaire, une ville futuriste ou encore une sorte de temple orné de statues gigantesques… Chaque fois qu’un nouveau personnage entre en scène, sa fiche signalétique apparaît sur l’écran et pour mieux créer « l’ambiance », les récitatifs sont par moment ponctués de sons qui évoquent des engins électroniques.
Le premier acte se situe dans une station service de l’espace où travaille Aminta, le roi berger, depuis laquelle il peut assister à la bataille intersidérale que mène Alexandre contre Straton le tyran de Sidon. Le second acte se déroule dans la ville de Sidon reconquise : la scène est jonchée de vieux robots et de carcasses au teintes pourpres.
La direction d’acteur extrêmement inventive, ne laisse pas de temps morts, l’œil est constamment sollicité par un nouvel élément, une apparition ou un gag qui déclenchent l’hilarité de la salle. Outre les solistes, évolue sur scène un groupe de danseurs vêtus en cosmonautes qui se livrent à des acrobaties diverses et variées, notamment pendant les airs. L’action est parfaitement lisible et l’argument – plutôt mince – de l’ouvrage se trouve enrichi par le déferlement d’images et les nombreux jeux de scène auxquels nous assistons.
Théâtre du Châtelet © Marie-Noêlle Robert
C’est une équipe de jeunes chanteurs qui a été convoquée, au sein de laquelle Rainer Trost qui avait débuté au Châtelet dans Così fan tutte en 1992, fait figure de vétéran. Vêtu d’une armure dorée et d’une cape rouge, il campe un Alexandre haut en couleurs, sorte de matamore à la fois fanfaron et ahuri, doté d’une voix solide, aguerrie au style mozartien. On peut toutefois lui reprocher quelques vocalises savonnées dans les passages ornementés. Krystian Adam qui avait participé à la reprise de La pietra del paragone l’an dernier est un Agénor touchant et drôle en même temps dans sa soumission aux volontés d’Alexandre. La voix est bien projetée et la ligne de chant extrêmement soignée.
Les interprètes féminines ne manquent pas d’intérêt mais leurs timbres ne sont pas suffisamment différenciés ce qui est gênant notamment pour le rôle travesti d’Aminta qui aurait pu être confié à une voix plus sombre. Le talent de Soraya Mafi n’est cependant pas en cause. Elle est tout à fait crédible en jeune berger amoureux. Au second acte le fameux air « L’amerò sarò costante » chanté avec délicatesse et d’infinies nuances dans un silence quasi religieux, lui vaut un succès personnel bien mérité. En 2012, Raquel Camarinha était une délicieuse Eurilla façon Barbarella dans Orlando Paladino, cette fois vêtue d’une robe rouge, de bas rouges à pois blancs et coiffée d’oreilles de lapin, elle est une Elisa en perpétuel mouvement sur une sorte de trottinette électrique. La voix est séduisante mais le registre aigu n’est pas dépourvu de stridences. Tel n’est pas le cas de Marie-Sophie Pollak qui possède un timbre cristallin fort agréable à l’oreille.
C’est un Jean-Christophe Spinosi assagi qui dirige sans précipitation mais avec un raffinement extrême un Ensemble Matheus en grande forme, les vents notamment, parfaitement justes, offrent de belles sonorités tout comme l’excellent violon obligé dans « L’amerò, sarò costante ».