On a assez souvent l’occasion de déplorer la gravité, voire la morosité du répertoire lyrique contemporain pour ne pas se réjouir qu’un compositeur vivant décide de travailler sur des sujets comiques. Dans ce domaine, Giorgio Battistelli n’en est pas à son coup d’essai, puisqu’on lui doit déjà un Divorce à l’italienne, également créé à l’Opéra de Nancy, en 2008. Pourtant, sans vouloir faire la fine bouche, Il medico dei pazzi ne manque pas de susciter quelques interrogations. La partition de cette « action musicale napolitaine » serait-elle différente si le sujet en était tragique ? En dehors des nombreuses pétarades des cuivres, on peinte à discerner ce qui rattache la composition de Battistelli au genre comique, auquel appartient indubitablement le texte qu’il a choisi de mettre en musique. Ah, si, les citations, peut-être. Verdi revient tout au long de la soirée : le « Ritorna vincitor » d’Aida, d’abord, dans le premier récit de Cicillo ; Otello, bien sûr, puisque Raffaele s’apprête à interpréter au théâtre le personnage de Shakespeare et en déclame constamment des répliques ; La Traviata, forcément, puisque Michelino se fait passer pour un ténor persuadé que cet opéra fut écrit pour lui ; et enfin, de manière moins prévisible, Falstaff, très sollicité pour la fin de l’œuvre, où les éclats de rire des commères de Windsor sont cités note pour note (mais confiés à tous les chanteurs alors présents en scène), divers extraits du dernier tableau du testament verdient étant longuement repris, au point que le procédé laisse dubitatif, comme si la musique contemporaine s’avouait du même coup impuissante à intégrer le comique au sein d’un discours personnel et à imposer son propre traitement des atmosphères légères. Cet acte unique de 80 minutes se laisse voir et entendre sans déplaisir, mais sans véritable enthousiasme, car rien de vraiment saillant n’y vient éveiller l’attention. Le jeune chef Francesco Lanzillotta guide l’orchestre à bon port, en veillant à préserver un certain équilibre, malgré la forte présence des cuivres, mentionnée plus haut. Le chœur de l’Opéra national de Lorraine intervient essentiellement dans la première moitié de l’œuvre, pour incarner la clientèle du café où se déroulent les scènes 1 à 6, avant de revenir à la toute fin pour réclamer à nouveau « Un cappucino ! Un café-crème ! » et ainsi de suite, sur une musique fort semblable à celle de ses premières interventions. Dans les rôles solistes, l’Opéra de Nancy a réuni une équipe presque exclusivement composée d’artistes italiens, à l’exception du baryton moldave Valeriu Caradja. Même si bien peu d’entre eux sont napolitains, voilà malgré tout une garantie appréciable d’idiomaticité. Bien que cette distribution soit assez clairement dominée par les trois ou quatre rôles principaux, l’œuvre permet à chacun de se faire remarquer dans son personnage de prétendu fou, encore que les performances soient peut-être d’ordre plus théâtral que musical au sens strict.
© Opéra national de Lorraine
En Ciccillo, Bruno Taddia manifeste les qualités scéniques déjà maintes fois remarquées : virevoltant, élastique, il se plie à toutes les cabrioles pour composer avec panache un héros sans cesse en mouvement. La voix semble avoir trouvé une assise lui permettant de se faire mieux entendre, car on a pu par le passé lui reprocher un certain déficit sonore qu’on ne retrouve pas ici. Par le brio de sa composition, il l’emporte en tout cas sur celui qui devrait être au premier plan, le Siosciammocca d’Alessandro Luongo, sans doute trop jeune pour ce personnage d’homme mûr, maire du village de Roccasecca auquel on fait croire qu’une pension napolitaine est un asile psychiatrique. Vocalement, le rôle ne lui pose aucun problème, mais c’est en termes d’incarnation qu’on aurait pu souhaiter davantage de verve. Milena Storti, en revanche, est parfaitement à l’aise sur les deux plans : elle assume sans peine la folie vocale et scénique d’Amalia Strepponi (nouveau clin d’œil à Verdi ?), mère tyrannique d’une Rosina quasi muette. Sa consœur mezzo Loriana Castellano ne démérite pas mais s’impose moins en Concetta. Bruno Praticò n’a pas grand-chose à chanter, ce qui est sans doute préférable compte tenu du vibrato qui se manifeste dès ses premières notes. Quant au Michelino de Giuseppe Talamo, déjà entendu à Nancy en Macduff, les nasalités de son timbre sont cruellement mises en avant par les quelques phrases tirées de La traviata que Battistelli lui confie. On sait que Il medico dei pazzi sera donné en création italienne à Venise en octobre 2015 : les têtes d’affiche seront encore là, mais le chef aura changé, ainsi que le metteur en scène. On le regrette car le spectacle réglé par Carlos Wagner est tout à fait réussi, avec sa vision de Naples envahie par les sacs poubelle, dans le décor ingénieux de Tobias Hoheisel et les costumes imaginatifs de Patrick Dutertre, qui situent l’action entre 1950 et 1970. La mise en scène joue à fond le jeu de la folie, en donnant à voir les visions d’un Siosciammocca peu à peu gagné par la démence, et l’absurde se matérialise ici par les fort réjouissantes apparitions d’un splendide rhinocéros emprunté à Ionesco.