Après les pavillons de banlieue de Geneviève de Brabant pour les fêtes, l’Opéra de Nancy enchaîne avec un Mariage secret où une énorme maison de poupée montée sur tournette occupe tout le plateau. Cette production, initialement conçue pour Zurich, nous transporte dans un univers girly aux couleurs acidulées, où Elisetta fait du cheval à bascule, où Carolina partage avec sa soeur une chambrette d’ados, et où Fidalma cache dans la sienne un ours en peluche géant. Paolino habite un réduit sous le plancher, et il y a même des toilettes où l’on voit Geronimo déféquer, et Carolina vomir (elle attend un heureux événement, qui interviendra avant la fin du spectacle). Cordula Däuper a fait le choix d’exploiter tous les espaces de cet intérieur qui bouge et où l’on bouge beaucoup, pour une mise en scène qui appuie le côté comique de l’œuvre en transformant les personnages en caricatures. Les deux filles de Geronimo deviennent ici des poupées, dans leur maquillage et leurs attitudes (posées sur leur séant, jambes écartées, bras raides devant elles, par exemple) : si Elisetta est une peste aux tresses rousses, Carolina est une copie conforme de Candy, l’héroïne de dessins animés japonais des années 1980. Quand un grain de sable vient perturber les projets familiaux, ce petit monde semble sur le point de vaciller : les portraits se décrochent, et l’armoire à gâteaux s’écroule…
Il est vrai que le livret de Bertati n’est pas d’une originalité folle, surtout si on le compare aux réussites des Da Ponte à la même époque. La musique de Cimarosa, elle, a beaucoup à partager avec Mozart, mort six mois avant la création du Mariage secret, mais elle pâtit forcément de la comparaison, même si nos ancêtres furent longtemps de l’avis opposé. La partition est riche d’ensembles très enlevés, et c’est plutôt du côté des airs que se situerait la carence, celui du « désespoir de Carolina » au deuxième acte, tant vanté par Stendhal ou Delacroix, faisant assez pâle figure.
© Opéra national de Lorraine
Néanmoins, l’œuvre est agréable, surtout lorsque l’on réunit pour la chanter une brochette de belles voix, un peu plus aguerries que celles des « jeunes troupes » auxquelles on la confie souvent (comme l’avait fait Pierre Médecin à l’Opéra-Comique en 1997, comme l’a fait l’Opéra du Rhin en 2015). Même si elle n’a que 27 ans, la soprano néerlandaise Lilian Farahani a déjà une jolie carrière derrière elle : voix fraîche et pimpante, aisance scénique, on peut lui prédire un parcours enviable. Maria Savastano a déjà fait parler d’elle, par exemple dans La finta giardiniera à Lille : son timbre plus corsé convient parfaitement à Elisetta, et son tempérament se prête bien aux facéties imposées par la mise en scène. Complétant le trio féminin, Fidalma bénéficie des couleurs sombres et l’ampleur du contralto de Cornelia Oncioiu, qualités qui devraient enfin trouver à s’employer dans des rôles bien plus exigeants que l’Annina où l’Opéra de Paris la reléguait dans une Traviata récente. Chez les messieurs, Anicio Zorzi Giustiniani est un Paolino charmant, même s’il n’évite pas toujours les nasalités. Riccardo Novaro est un comte Robinson stylé, auquel on reprochera seulement un léger manque de puissance, par moments. Donato Di Stefano est une solide basse bouffe, mais il a tendance, dans les passages rapides, à aller trop vite et à perdre de vue la mesure. Il en resulte des décalages, et pas seulement pour lui, d’ailleurs, avec l’orchestre pourtant dirigé avec allant par Sascha Goetzel. Signalons surtout la prestation de Thierry Garin au pianoforte, qui agrémente les récitatifs de diverses citations à visée comique, mozartiennes en général (ouverture des Noces de Figaro, Kyrie du Requiem) ou même offenbachiennes (l’air d’Olympia des Contes d’Hoffmann, pour continuer dans la thématique de la poupée).