Ravivée ou éteinte « La Querelle des Bouffons » le temps d’une représentation ? A l’Opéra de Clermont-Ferrand, le Centre Lyrique d’Auvergne avait pris pour intitulé de son dernier spectacle la fameuse Guerre des Coins ayant opposé au XVIIIe siècle les partisans d’un renouveau musical venu d’Italie à ceux de la grande tragédie lyrique à la Française. Pergolèse versus Rameau. Rousseau soutenu par le sulfureux baron Grimm et les encyclopédistes contre Rameau défendu par le coin du roi. S’il revient en première partie à La Serva Padrona de Pergolèse de rallumer le débat, qui d’autre que Rameau pouvait être habilité à fermer le ban ? Ce qui fut fait avec Nélée et Myrthis, un acte de ballet dont la seule représentation connue remonte à une quarantaine d’années à l’opéra de Melbourne (!) soit quelque deux siècles après la date présumée de sa composition, tant la genèse de ce petit joyau ramiste demeure mystérieuse.
Si l’on avait à se déterminer par rapport à l’une et l’autre interprétation, il est incontestable que Pergolèse coifferait Rameau – soyons fairplay – sur le poteau. Autrement dit, d’une courte tête. Léger écart que l’on attribuera à la défection de dernière minute de Chantal Santon-Jeffery, souffrante et remplacée au pied levé par Camille Poul. On peut penser que la première, aguerrie dans le répertoire de Rameau, était susceptible de maîtriser avec plus de pertinence les fragiles subtilités du personnage de Myrthis.
En ce qui concerne la Serpina de Camille Poul, sa jubilatoire malice et son intelligence comédienne ne peuvent que susciter une adhésion pleine et entière. Elle fait montre d’une pétulance ironique et d’un naturel expressif parfaitement en phase avec le rôle. Rôle pour lequel on apprécie tout particulièrement son étendue vocale depuis des graves de velours d’une élégante souplesse jusqu’aux aigus mutins, scintillants sans agressivité. Que l’Uberto de Marc Labonnette lui apporte l’idéale répartie ne prête pas à polémique. Ces deux-là sont drolatiquement complémentaires. A l’impertinence espiègle joliment timbrée de l’une répond la truculence bon enfant de l’autre. Et les deux font montre d’un bel abattage. Le baryton maîtrise magnifiquement son sujet dans le plus pur style bouffe. La fermeté et la souplesse de son émission et la verve de sa diction nous livrent un Uberto infiniment attachant et convainquant, en tout cas loin de la caricature du balourd sans nuance où on l’enferme si souvent. Loin d’être complètement dupe, il prend un malin plaisir à jouer au chat et à la souris au point que l’on se demande qui manipule vraiment l’autre. Tous deux trouvent en Pablo Pavon, vitaminant l’Orchestre Musica Mediante, un parfait complice. Il mène le jeu d’une battue enlevée mais toujours stylée, avec un entrain sans faille que soutient un goût pour les couleurs chatoyantes jamais démentie.
On retrouve les mêmes interprètes pour Nélée et Myrthis. Le bon point de Camille Poul est qu’elle ne se départit pas un instant de ce naturel du vécu et de cette conviction de ton qui font son charme. Mais l’enchantement et la volupté qui caractérisent Rameau lui font un rien défaut. Comme si elle n’avait pas tout à fait quitté Serpina pour pleinement embrasser une Myrthis qui réclame un frisson d’émotion teinté d’une nécessaire préciosité en même temps qu’une théâtralité plus incarnée. Toutes qualités pour lesquelles Angélique Pourreyron, hélas limitée à une trop brève apparition dans le rôle de Corinne, apparaît incontestablement mieux armée. La jeune soprano illustre avec une vitalité inspirée cet art si particulier et délicat de l’ornementation à la française. Sans déchoir, le Nélée de Marc Labonnette déconcerte quelque peu, pour des raisons similaires à celles de Camille Poul avec laquelle il peine à s’harmoniser. Aux côtés d’un orchestre ne manquant ni de nerf ni de tenue rythmique, le chœur Musica Mediante plein de vaillance et d’homogénéité s’impose par ailleurs comme la bonne surprise de ce Rameau ressuscité.